L'INCATENATU DI BISINCHI - A SCHJUDAZIONE DI MONTICELLU - LE CHRIST SPIRANTE DE CORTE
A Sartène et à Bisinchi un pénitent dont l’identité est connue du seul curé refait la montée au Calvaire de Jésus ; cette cérémonie parfois très réaliste rassemble de nombreux fidèles et curieux. (surtout à Sartène dont les journaux répercutent largement cette manifestation).
L'INCATENATU DI BISINCHI
C'est plus "confidentiel" à Bisinchi. Pour avoir assisté à la cérémonie de l’Incatenatu, on peut dire que le spectacle est impressionnant.
Dans la nuit noire éclairée de torches, où se distingue à peine le cercle des montagnes, l’atmosphère est lourde ; l’assistance est silencieuse.
Le pénitent est enchaîné, nu-pieds ; on lui pose les fers « pour de vrai » avec enclume, fer rougi ...
Le chemin de croix peut commencer à travers « i cherrughji » (les chemins) ; chaque station est matérialisée par un petit autel.
Jusqu’à la mise en croix
la déposition et la remise à sa mère.
Puis le retour à l’église où le pénitent est libéré de ses chaînes et déposé au pied de l’autel.
"A schjudazione" di Monticellu.
Voici une autre tradition qui remonte à quelque 80 ans et qui a été remise à l'honneur en 2005 dans le bourg de Monticellu en Balagne.
Il s'agit de la "schjudazione", le "déclouement" du Christ de la croix sur laquelle il a été crucifié.
Cette initiative est due à la confrérie de San Carlu, récemment reconstituée, et à son prieur M. Martelli qui nous a fait visiter la confrérie et nous a raconté avec force détails cette cérémonie.
La restauration du grand Christ aux bras articulés, sculpture anonyme de taille humaine, en bois polychrome du XVIIè siècle, est due à Renato Boi.
La cérémonie à laquelle nous avons assisté s'est déroulée devant une foule nombreuse et selon un rituel bien établi.
La croix avec le Christ est dressée devant le superbe maître-autel baroque de la Confrérie, orné d'un tableau de la Descente de croix d'après Rubens.
Les confrères et les femmes de Jérusalem entourent le Christ, Marie, Marie-Madeleine et Jean. S'ensuit la lecture du récit de la Passion, accompagnée par des méditations et des chants.
Ghjesù disse : "aghju a sete". C'era un vasu pienu d'acetu. I suldati inzupponu una spugna è avendula messa in punta à una rama d'issopu, l'avvicinonu da a bocca ...
Jésus dit "J'ai soif". Il y avait là un vase plein de vinaigre. Les soldats en imbibèrent une éponge et, l'ayant fixée à une branche d'ysope, ils l'approchèrent de sa bouche ...
... unu di i suldati li tafuno' u fiancu cù a so lancia, è di colpu isci' sangue è aqua.
Un des soldats lui perça le flanc de sa lance, et aussitôt il en jaillit du sang et de l'eau.
Evangile selon Saint Jean, ch. XIX
Joseph d'Arimathie et Nicomède installent les échelles.
"Cacciate a curuna di spine!"
"Prinsitate a curuna di spine!"
Enlevez la couronne d'épines
Présentez la couronne d'épines
"Cacciate u primu chjodu!
Prisintate u primu chjodu!"
Enlevez le premier clou
Présentez le premier clou
L'altri chjiodi
Puis, soutenu par le bindellu, le Christ est lentement descendu de la croix.
et placé dans son linceul
Alors commence la procession à travers les rues du village qui se terminera par la Granitula et la remise du Christ dans son Sepolcru.
LE CHRIST SPIRANTE A CORTE
"De mémoire de Cortenais, on n'avait jamais vu cela. Depuis les années 1950, le Christ spirante n'avait pas été mis en croix et hissé sur la façade d'une église cortenaise pour le Vendredi Saint. Soixante-dix ans que les bras articulés de la représentation du Christ en papier mâché grandeur nature et expirant avant la mort n'avaient pas été dépliés pour être cloués sur la croix. Soixante-dix ans que les Cortenais avaient perdu l'une des spécificités d'un catenacciu qui fait la fierté à travers toute l'île.
Vieilles de plus de 400 ans, les représentations du Christ et de la Madunuccia, toute vêtue de noir pour l'occasion, ont été rendues aux Cortenais fin mars, après trois ans d'une minutieuse réparation effectuée dans l'atelier italien de Renato Boi à Finale Ligure. Elle a permis de rendre au Christ spirante ses articulations qui avaient été endommagées lors d'une précédente restauration. L'ouvrage, unique en Corse selon l'artisan, retrouve en fin sa place d'antan ...
16 heures ... A l'intérieur de l'église de l'Annonciation, les fidèles terminent le chemin de croix ... Les membres de la confrérie San Teofalu apportent une croix massive. Ils la disposent à terre avant d'apporter le Christ spirante allongé sur une civière rouge entourée de bougies ...
Le Christ est mis sur la croix. Les clous s'enfoncent dans sa chair de papier mâché. Le premier prieur de la confrérie frappe le dessous de la croix avec un marteau pour ancrer solidement le Christ spirante avant de le hisser à la force des bras des confrères, accompagnés par le Kyrie eleison ... Il y restera jusqu'au soir et le début de la procession du Vendredi saint dans les rues de la cité paoline où il sera décroché puis porté sur une civière, laissant le lourd fardeau de la croix à un pénitent en cagoule blanche ...
Au moment de descendre le Christ de la croix, une foule de plusieurs centaines de personnes scrute, immobile, le rituel qui n'avait pas été effectué depuis longtemps. Le bruit sourd des chaînes s'élève soudain par-dessus le chant des confrères ...
Les fidèles tentent de suivre du regard le Christ porté par les confrères vers la civière rouge. La lourde croix est détachée de la façade de l'église et se pose sur l'épaule d'un pénitent aux habits immaculés. Un deuxième le rejoint à l'autre bout de la croix. Un confrère passe les chaînes à son pied qu'il traîne pour que le fer s'entrechoque avec les pavés de pierre ... L'assistance s'engouffre derrière le porteur de la croix, le Christ gisant et la Madunuccia vêtue de ses habits de deuil.
La procession s'élance dans les rues étroites, portée par une foule silencieuse qui s'entasse dans la rue du vieux marché. Elle enchaîne les stations, suit pas à pas le calvaire du pénitent à la lueur des bougies allumées au sol, sur le bord des fenêtres le long du passage. Sur la place Paoli, les rangs gonflent. Ils seront finalement plus d'un millier à suivre ce Vendredi saint historique. Celui du retour du Christ spirante à la lueur de la flamme comme au XVIIè siècle".
Pierre-Manuel PESCETTI, Corse-matin du 8 avril 2023
Photos José MARTINETTI