LA SEMAINE SAINTE
I SEPOLCRI 1ère partie
Au cours de la Semaine Sainte, des sepolcri sont installés dans certaines églises qui perpétuent une pratique encore vivante dans les souvenirs d'enfant de quelques paisani ; il s'agissait pour les villageois de veiller à tour de rôle le corps du Christ dans l'église.
Qu’est-ce qu’un sepolcro ? Lisons Michel-Edouard Nigaglioni qui en donne une définition et une typologie limpides :
« Dès la fin du XVIIe s. des villages insulaires décident de rehausser l’éclat des cérémonies religieuses de la Semaine sainte en commandant des sepolcri peints à des peintres locaux.
Le sepolcro ou sepolcru évoque le saint sépulcre (le tombeau du Christ) et il met théâtralement en scène le reposoir fleuri au centre duquel on dépose une figuration peinte ou sculptée du Christ mort. C’est une magnifique et touchante expression de la piété baroque, à la fois grandiose et naïve (…)
On distingue deux types de sepolcro :
- le sepolcro écran, grande toile peinte sur châssis qui ferme une des chapelles latérales de l’église. Cette toile est percée d’une porte qui permet d’accéder au reposoir fleuri installé dans la chapelle.
- « le sepolcro en pavillon est constitué d’une série de grandes toiles peintes montées sur châssis. Celles-ci sont assemblées afin de constituer les murs d’un édicule dont le plafond est fait de simple tissu.
Cette pseudo chambre funéraire à l’intérieur de laquelle on dresse le reposoir, évoque les tombes antiques aux murs couverts de fresques » (M.-E. Nigaglioni op.cit. infra).
LES SEPOLCRI EN PAVILLON
SANTA LUCIA DI MERCURIU
FICAJA
"O vos omnes qui transitis per viam,
attendite et videte si est dolor similis
sicut dolor meus..."
O vous tous qui passez,
regardez et voyez s'il est douleur
pareille à ma douleur ...
(Traduction latine du livre des Lamentations I - 12)
SANTA LUCIA DI MORIANI
"(O crux) ave spes unica
Hoc passionis tempore
Auge piis justiciam
Reisque dona veniam"
Salut, ô Croix, unique espérance
en ces temps difficiles de Passion,
augmente la droiture des gens de bien
et accorde le pardon aux pécheurs
(6è strophe de l'hymne Vexilla Regis composé au VIè siècle par Venance Fortunat, évêque de Poitiers)
SAN DAMIANU
" Ce pavillon de toile peinte était destiné à être monté dans la nef de l'église dont il occupait toute la largeur. Installé dans l'axe, il masquait le maître-autel.
En face du pavillon, deux soldats romains sont peints en trompe l'oeil sur les piédroits. Ils montent la garde de part et d'autre d'une large entrée. Un linteau peint relie les piédroits.
Il est orné en son centre d'un cartouche à inscription portant la date de 1758.
La chambre funéraire est de plan trapézoïdal. Elle est large à son entrée et se resserre progressivement vers le fond. Cet artifice théâtral qui constitue une perspective accélérée, permet au spectateur de bien voir les décors peints sur les côtés et suggèrent un espace plus qu'il n'est en réalité.
A l'intérieur de la chambre, sont peintes quatre scènes de la Passion, deux par côté : Le Christ au jardin des oliviers ; le Christ devant Pilate ; la Flagellation ; le Christ molesté sur le chemin de croix.
Le fond de la chambre funéraire constitue un autel plaqué de deux panneaux peints : le Calvaire, en retable ; la Déploration, en antépendium.
Ce sepolcru présente de multiples intérêts au point de vue de l'art et de l'histoire de la Corse.
- L'oeuvre est de belle qualité, de taille imposante et fait beaucoup d'effet.
- Elle est un rare exemple, aujourd'hui conservé, d'un décor éphémère utilisé lors des cérémonies religieuses à l'époque baroque.
- L'oeuvre est datée, ce qui est extrêmement rare.
- L'auteur est Giacomo Grandi. Il s'agit donc du peintre principal de l'école corse des années 1740-1760. Le doute sur cette attribution n'est pas permis car le style et la technique sont très particuliers et se reconnaissent aisément.
L'iconographie est particulièrement intéressante. Les soldats romains et les bourreaux du Christ sont figurés en costumes de fantaisie, affublés de moustaches à la turque. Pilate est représenté comme un roi barbaresque, coiffé d'un volumineux turban. Un maure noir, le front ceint d'un bandeau (rappelant le maure héraldique du drapeau corse) martyrise le Christ.
L'ensemble de ces costumes pseudo-orientaux, sont vraisemblablement inspirés des déguisements que l'on portait en Corse pour danser la moresca.
En cela, cette iconographie est un précieux témoignage qui vient illustrer les descriptions rapportées dans divers textes du XVIIIè siècle."
Michel-Edouard Nigaglioni in Monuments et décors de la Semaine Sainte en Méditerranée, Presses Universitaires du Midi, 2009, pp. 177/180.
Le sepolcro de San-Damiano est maintenant abrité au Musée de Corte.
Il a été exposé à Gênes en 2013 pour l’exposition Il Teatro dei Cartelami, effemeri per la devozione in area mediterranea.
(cartelami : nom italien des sepolcri).
Nous avons eu la chance de visiter en 2013 cette exposition qui met en lumière ces monuments éphémères.
De vraies merveilles d’Italie, d'Espagne et de France méditerranéenne, dans lesquelles « notre » sepolcro de San Damiano faisait très bonne figure.
Dans certaines églises, comme à San Martino di Lota ou à l'église Notre Dame de Lourdes à Bastia, on trouve des représentations de la Passion sous forme de cartelami (silhouettes découpées le plus souvent dans du carton ou du bois).
Le cartelame de San Martino di Lota a été découvert dans la confrérie en 2012, à l'occasion de la Semaine sainte, par Elisabeth Pardon qui l'avait fait mettre en scène.
Ce décor est depuis mis en situation chaque année.
Dans le revue U Muntese n°110 de 1966, Simon Jean Vinciguerra fait la description du sepolcru de Pietra di Verde qui comporte lui aussi des figurines découpées et repose sur une architecture :
" Jusqu'en 1923, à Pietra di Verde on plaçait le sepolcro en plein milieu de la nef.
C'était un cube de poutres et de planches aussi solide et léger que possible, avec un escalier d'accès à l'étage. La charpente, tendue de blanc à l'intérieur, était habilement dissimulée à l'extérieur par des bouquets de fleurs ou de lierre, et surtout de buis qu'on allait couper dans la vallée du Busso, nom local de la rivière d'Alesani. Au sommet quatre montants, disposés en pyramide, surmontée d'une croix et avec un lustre central, donnaient à l'édifice élégance et majesté.
A l'étage, assez ouvert pour ne pas masquer l'officiant, était ménagé un autel. Au rez-de-chaussée, sur des tapis, gisait le grand Christ en croix, le Cristone, entouré d'images des saintes femmes peintes sur bois et découpées grandeur nature respectée ... "
CASTELLU DI RUSTINU
Les illustrations sont tirées du site d'Elizabeth Pardon qui a photographié ce sepolcro, monté pour l'occasion, en janvier 2012.
Voir le lien ci-dessous
"Le panneau de la Résurrection forme le plafond du sepolcro. Ce thème de la Résurrection, un Christ triomphant dans toute sa gloire, est rare dans les sepolcri de Corse. Généralement les Sepolcri s'arrêtent à la douleur de la Déploration."(Elizabeth Pardon)
Rendons ici hommage à Elizabeth Pardon dont les travaux, les recherches, l'infatigatible énergie ont déjà été signalés. C'est grâce à elle que ces trésors que sont les sepolcri ont été mis en lumière et considérés.
LE SEPOLCRO DE SANT ANDREA DI BOZIU
Photos Michel-Edouard NIGAGLIONI
LES SEPOLCRI ECRAN
LE SEPOLCRO ECRAN DE BARRETTALI
(Texte extrait du livret présent dans l'église)
"Ce décor éphémère représente le tombeau du Christ gardé par deux légionnaires romains. Lors de la semaine sainte, cette grande toile peinte servait à obturer l'une des chapelles latérales de l'église, à l'intérieur de laquelle était dressé un reposoir (constitué de bouquets de fleurs, de cierges et d'une figuration du Christ mort). Cet usage est traditionnel en Corse depuis au moins le XVIè siècle.
Ce sepolcro qui porte la date de 1872 peinte sur la clé de l'arcade, peut être attribué avec une grande probabilité, grâce au livre de comptes de la paroisse.
En janvier 1873, est enregistrée la mention suivante : "speso per pagare il pittore Filippo Malavesi, 152 franchi".
LE SEPOLCRO ECRAN DE MERIA
Clichés Elisabeth Pardon
LE SEPOLCRO ECRAN DE SAN MARTINO DI LOTA
Clichés Michel-Edouard Nigaglioni
LE SEPOLCRO ECRAN DE VOLPAJOLA
Clichés Elisabeth Pardon
LE SEPOLCRO ECRAN DE QUENZA
Clichés Elizabeth Pardon
memento mei domine (Souviens-toi de moi Seigneur - Luc 23,42)
pater dimitte illis (Père, pardonne-leur - Luc 23,34)
mors pecchatorum pessima (Rien de plus grave que la mort du pêcheur - Ps 33,22)
Non est species ei neque decor :
"Il n'y a aucune beauté en lui ni élégance" (Isaïe 53,2)
A planta pedis usque ad verticem non est in eo sanitas :
De la plante des pieds jusqu'à la tête rien n'est sain en lui. (Isaïe 1,6 )
LE SEPOLCRO ECRAN DE FRASSO (Castello di Rostino)
Clichés Elizabeth Pardon
LE SEPOLCRO DE POGGIOLO (région d'Ajaccio)
source :
http://poggiolo.over-blog.fr/2018/03/le-sepolcro-de-poggiolo-a-ete-oublie.html
Ce blog est animé par M. Michel Franceschetti que nous remercions de nous permettre d'inclure son site sur cette page dédiée aux sepolcri.
" Il existe à Poggiolo sur le blog référencé ci-dessus, un article qui a présenté la descente de croix réalisée en 1939 par l'artiste Damaso Maestracci, placée dans l'église Saint Siméon (première chapelle de droite en entrant).
Mais ce tableau n'est pas seul. Il est entouré par des panneaux représentant deux légionnaires romains :
- à gauche, le soldat se repose sur une lance à la pointe de laquelle sont dessinées des gouttes de sang, par référence à la lance qui a percé le flanc du Christ pour s'assurer de sa mort.
- à droite, l'autre militaire tient un bâton surmonté d'une éponge, l'éponge imbibée de vinaigre qui fut approchée des lèvres de Jésus en croix quand il dit qu'il avait soif ".