LA SEMAINE SAINTE : 1) LES PRATIQUES

 

 

Crucette e pullezulle

 

Reposoirs 

 

Offices des ténèbres

 

Processions et chemins de croix(granitula, cerca ...)

 

Une bibliographie aidera à aller plus loin dans l’histoire, l’évolution et le sens de ces pratiques.

 

 

Crucette e pullezulle

 

Le dimanche des rameaux « a dumenica di l’alivu o di e palme»

 

Tout commence le dimanche des Rameaux où l’on célèbre l’entrée de Jésus à Jérusalem.  Ce jour-là, c’est la fête des Hébreux.

 

Après sa période publique où il a fait ses prédications, accompli ses miracles, prononcé ses paraboles, Jésus entre à Jérusalem, juché sur une ânesse.

 

Il est accueilli par une foule en liesse qui dépose sur son passage vêtements et palmes. Selon les évangélistes, la foule aurait déposé des vêtements sur le dos de l’âne en  guise de selle pour Jésus.

 

Jusqu’à ce jour, nous n’avons pas trouvé dans les églises d’œuvres qui rappellent cet épisode.

 

En revanche, dans toute la Corse on fabrique, on distribue ou l’on vend à cette occasion crucette, stelle, campanili, pesciucci, rosule… 

 

Ces objets tressés dans des feuilles de palmier savamment préparées à cet effet, sont bénis, distribués pendant la messe et préservent la maison où ils sont précieusement gardés.

 

 

Borgo - St Appien - Croix de procession
Borgo - St Appien - Croix de procession
Popolasca
Popolasca

Selon la tradition, les Rameaux de l’année précédente ne doivent pas être jetés mais brûlés, car tout objet consacré, s’il est abandonné, devient la proie des sorciers.

Dans certaines régions de Corse, on fabrique encore les pullezulle, palmes tressées pour former des constructions très complexes, véritables œuvres d’art que l’on plaçait au sommet de la croix de procession le Vendredi-Saint.

 

Leur confection commençait dès le Lundi-Saint, et n’était révélée que le jour de la procession.

 

San Martino di Lota - "A pullezzula" - Archives de confrérie
San Martino di Lota - "A pullezzula" - Archives de confrérie

 

Si au village de San-Martino-di-Lota par exemple, elles représentent des édifices religieux, chaque année différents, et visibles dans l’église et dans la chapelle de Confrérie, elles prennent aussi la forme de symboles religieux (cœur, rose, croix, poisson etc...)

 



SAN MARTINO DI LOTA

Brando
Brando

 

Dans certains villages la tradition de la fabrication se perpétue auprès des jeunes générations.

La confection des palmes est l’occasion de rencontres conviviales.

Ce n’est pas le moindre intérêt de ces pratiques que de favoriser le lien social.

SAN-MARTINU-DI-LOTA  Confection des palmes
SAN-MARTINU-DI-LOTA Confection des palmes
SAN-MARTINU-DI-LOTA Confection des palmes
SAN-MARTINU-DI-LOTA Confection des palmes

Bibliographie 

 

Isabelle ROC, Rameaux e pullezzule, chefs-d’œuvre de tradition populaire, Strade, Nouvelle série, n°6 – 1998. pp. 17-35).

Dumenica Verdoni, A Settimana santa in Corsica, une manifestation de la religiosité populaire, photographies de Jean Harixcalde, Editions Albiana, Ajaccio, 2003…)

 

Les reposoirs.

Plus modestes, les reposoirs sont aussi plus fréquents : le sol de la chapelle est revêtu d’un tissu, rouge de préférence, sur lequel on couche le grand crucifix ou une autre figure du christ.

Fleurs et bougies ornent ce lieu de recueillement ; on y dépose aussi des coupelles de blé germé. (Pour ces rites alimentaires dans le Cycle de Pâques voir Dumenica Verdoni, op.cit supra).

Parfois un "pavillon textile" est dressé dans la nef ou dans une chapelle latérale.

Nocario - Chapelle St Jean Baptiste
Nocario - Chapelle St Jean Baptiste
Brando (Purettu) Eglise de l'Annonciation
Brando (Purettu) Eglise de l'Annonciation
Nocario - Eglise St Michel
Nocario - Eglise St Michel
Algajola - Eglise St Georges
Algajola - Eglise St Georges

Scolca - Eglise St Mamilien
Scolca - Eglise St Mamilien

 

Quelques églises possèdent des toiles peintes qui servent de fond au reposoir, comme un antependium (devant d’autel).

 

 Les antependium

Nessa
Nessa

 

Sur l’antependium de Nessa, on distingue sur le pourtour les instruments de la Passion et la formule :

« Attendite universi populi et videte dolorem meum :

arrêtez-vous peuples de l’univers et voyez ma douleur » (matines du samedi-saint, Lamentations de Jérémie (1,12.18).

 

 

A Brando (Purettu) dans l’Eglise de l’Annonciation, sur l’antependium de la Déposition, sont représentés Marie, Marie-Madeleine, Jean à gauche,  les saintes femmes, Nicodème ou Joseph d’Arimathie.

Brando (Purettu) Eglise de l'Annonciation
Brando (Purettu) Eglise de l'Annonciation
Quercitello - Eglise Saint Charles
Quercitello - Eglise Saint Charles
La Porta - Giacomo Grandi
La Porta - Giacomo Grandi

 

 

L’Office des ténèbres (« i Vespari »).

 

L'Office des Ténèbres « i tarnimuri » à Calvi, correspond aux matines et aux laudes des trois derniers jours de la Semaine sainte (le Triduum); il est ainsi nommé parce qu’il est chanté normalement très tôt le matin dans l'obscurité.

 

Un chandelier des ténèbres pyramidal et porteur de 15 bougies est dressé dans le choeur.

A la fin de chaque psaume, on éteint une bougie … jusqu’à la dernière « le Miserere »  (dernier chant psalmodié de l’office) qui le Vendredi saint correspond au moment où le Christ rend l’âme sur la croix ; le chandelier est  alors dérobé à la vue des fidèles.

Cette extinction progressive symboliserait l’abandon progressif de Jésus par les siens et sa solitude.

Ce chandelier des ténèbres peut être travaillé ou au contraire très simple mais il est toujours de forme pyramidale.

 

Piazzole
Piazzole
Piobetta
Piobetta
Pietricaggio - "[tunc discipuli] omnes relicto eo fugerunt" - "Puis tous les disciples l'ont abandonné et ont fui " Luc 23,49
Pietricaggio - "[tunc discipuli] omnes relicto eo fugerunt" - "Puis tous les disciples l'ont abandonné et ont fui " Luc 23,49
Speloncato -Confrérie
Speloncato -Confrérie
Saint Florent
Saint Florent

Appietto
Appietto
Corbara - Confrérie
Corbara - Confrérie

 

Dans le noir complet éclate alors le « vacarme » le charivari (« fraghjiatura », « fracassu ») qui le Jeudi saint rappelle l’épisode des marchands du temple puisqu’il s’agit de chasser « l’ebrei »(ou alors de mimer les Juifs pourchassant Jésus (G. Massignon) et le Vendredi saint, rappelle la mort de Jésus  et le cataclysme qui s’abattit sur Jérusalem.

 

La vacarme est énorme, on siffle, on tape sur les bancs et le sol avec des feuilles d’agaves « e chiocche », des bâtons « batarchji » ; on utilise des instruments naturels la conque marine (u cornu) et le sifflet (u fischiulellu), outre les bâtons, heurtoirs, crécelles de formes et de sonorités variées.

 

Monticello - U cornu
Monticello - U cornu
Vescovato - U raganone
Vescovato - U raganone
Moca Croce - U raganone
Moca Croce - U raganone

Speloncato
Speloncato
Zilia
Zilia
Collection JR Luciani
Collection JR Luciani

Monticello - U raghjone
Monticello - U raghjone
Monticello - A rataghja
Monticello - A rataghja

 

« Ragana , crucula ,  tutalega , taccule , trapachja », autant de noms (différents selon les régions) pour désigner les crécelles, claquettes, heurtoirs, et autres instruments à percussion aux formes diverses.

 

Musée de CERVIONE Instruments du vacarme
Musée de CERVIONE Instruments du vacarme

 

A Asco on disait "sunà u raghjone" pour dire "agiter la crécelle". Sans parler de "a rataghja" dont on connaît le sens figuré de personne "rasoir"!

 

Asco
Asco
Corbara - Confrérie
Corbara - Confrérie

Feliceto - Confrérie
Feliceto - Confrérie

 

 

 

Le vacarme cérémoniel à Pietra di Verde par Simon Jean Vinciguerra, (Notes sur le cycle de Pâques, revue U Muntese n°110, 1966).

 

" ... les jeunes gens se préparent à "e chiocche", c'est-à-dire au charivari cérémoniel de l'office d'après-midi du mercredi, du jeudi et du vendredi.

 

Un charivari cérémoniel modéré et intermittent est admis par la liturgie selon un usage assez antique, en souvenir, dit-on, des fidèles de Rome réfugiés dans les catacombes.

 

Il est déclenché sur signal de l'officiant et se prolonge à l'extinction de la dernière des quinze chandelles portées sur un chandelier triangulaire de bois, placé au milieu du choeur.

 

Seul le bois serait permis pour faire le bruit à l'exclusion de tout ce qui pourrait rappeler les cloches, par fidélité au rite romain.

 

En effet, tout jeunes, accompagnés par nos parents, nous étions autorisés à emporter une baguette de bois avec laquelle nous frappions sur le banc, lorsque le prêtre donnait lui-même l'exemple, en tapant de la main sur la couverture du grand livre relié de cuir.

 

Mais rarement l'office se déroulait selon une stricte discipline. Par contre le vacarme assourdissant aboutissait parfois à l'interruption, sans reprise, de la cérémonie ou encore de son achèvement à huis-clos, après l'expulsion des trublions par les personnes âgées. Jamais on ne faisait appel aux autorités, garde-champêtres, maire ou gendarmes.

 

... Chez nous cette bruyante agitation n'avait pas pour objet de tuer les Juifs comme dans les Pyrénées orientales ou en Catalogne, mais seulement de rappeler les scènes et prodiges qui avaient accompagné le Christ de Pilate au Calvaire ..."

 

 

 

Bibliographie

 

MASSIGNON Geneviève, 1962, « La Crécelle et les instruments des Ténèbres en Corse », Journal of the International Folk Music Council, Vol. 14, pp. 136-137 (1ère éd. 1959, Revue des Arts et Traditions Populaires VII [3-4], n° 274).

Dumenica Verdoni (op.cit) I Vespari.

Simon.J. Vinciguerra, Le Vacarme cérémoniel (op.cit. n°110, 1966).

Antoine Trojani, Canti, fraghjature e zambri pasquali in Sott’a l’olmu, usi e stalbatoghi corsi, 1978, pp. 47-64.

 

 

Les processions

 

Elles commencent dès les Rameaux et se poursuivent pendant la Semaine sainte.

Les confrères y jouent un grand rôle mais les habitants sont nombreux à y participer. Le Jeudi saint, le Christ de procession est de sortie, orné du bindellu blanc, et de la pullezulla, porté à bras d’homme, voire de femme « u portacroce » pour la visite des sépulcres.

 

SAN-MARTINO-DI-LOTA Procession (Archives de confrérie)
SAN-MARTINO-DI-LOTA Procession (Archives de confrérie)

 

Le Vendredi saint se déroulent les processions circulaires qui revêtent des formes et des rituels variés.

 

La cerca, dans le Cap corse  ou en Castagniccia,  la granitula en Balagne (Calvi), en Castagniccia et dans le Cap corse (Brando) sont encore pratiquées.

 

La cerca : c'est une forme de procession qui va de hameau en hameau ; les différentes confréries défilent avec la pullezzula, (tressage de feuilles de palmier fixé au sommet de la croix portée en tête du cortège). Les différentes processions se suivent mais ne se rejoignent jamais..

 

La ganitula : les pénitents vont d'église en église et de village en village en chantant, s'enroulant en spirale devant chaque parvis comme un bigorneau.

 

" Fa a granitula ou batte a trifuna" à Pietra di Verde, par Simon Jean Vinciguerra.

(Notes sur le cycle de Pâques, U Muntese N°110, 1966)

 

" ... le cortège s'avance vers l'ormeau, à la suite d'un chef de file qui est toujours un membre de la confrérie. Il décrit un large cercle autour de l'arbre, en sens inverse des aiguille d'une montre, puis dans sa lente marche circulaire, il se resserre en spirale.

 

Parvenu à quelque pas de l'arbre, le chef de file marque un temps d'arrêt, puis au lieu de contourner le tronc de près, il inverse le sens de la marche. Décrivant ainsi un grand S, il s'engage entre les deux files qui suivent.

 

Dès lors la procession se trouve disposée sur trois rangs, tre file (d'où le mot trifuna), le rang du milieu progressant en sens contraire des deux autres.

 

Lentement la spirale se déroule, et c'est sur un rang que le cortège s'étire pour rentrer dans l'église, dans l'ordre habituel.

 

La réussite de l'opération dépend uniquement de la discipline des suiveurs qui doivent marcher scrupuleusement dans les pas de l'homme de tête."

 

 

NOCARIO "A cerca"
NOCARIO "A cerca"
Brando - La granitula
Brando - La granitula
A Granitula in Castagniccia
A Granitula in Castagniccia

 

La procession se déroule en un cortège, les uns portant lanternes et bannières, les autres la croix de la Passion.

Beaucoup d’églises ou de chapelles de confréries possèdent ces objets, remisés le restant de l’année en général.

La croix de la Passion est facilement reconnaissable : elle porte sur ses traverses les arma Christi,  c’est-à-dire les instruments qui ont servi lors de la Passion du Christ :

la colonne, la couronne d’épines, la main du grand prêtre qui gifla Jésus, la lanterne des soldats, le marteau, le roseau et le fouet de la flagellation, les clous, les tenailles, la coupe de fiel et le calice, les dés pour tirer au sort les vêtements de Jésus, la lance, l’éponge imbibée de vinaigre au bout d’une branche d’hysope, l’échelle, le titulus au sommet de la croix : INRI (Jésus roi des Juifs). Ils ne sont pas toujours au complet.

(voir aussi le catalogue de l’exposition sur les Confréries à Corte op.cit). 

 

Silvareccio - La croix rassemble tous les instruments de la Passion
Silvareccio - La croix rassemble tous les instruments de la Passion
Silvareccio (détail)
Silvareccio (détail)
Silvareccio (détail)
Silvareccio (détail)
Silvareccio (détail)
Silvareccio (détail)

Avapessa
Avapessa
Rusio
Rusio
Calenzana - Confrérie
Calenzana - Confrérie
Aregno
Aregno

Propriano
Propriano

Calvi - Oratoire St Antoine - Croix de la Passion et leur "bindellu"
Calvi - Oratoire St Antoine - Croix de la Passion et leur "bindellu"

  

Le coq est aussi présent et bien sûr le visage du Christ.

 

Soveria
Soveria
Piazzole
Piazzole
Carcheto - Peinture monumentale - "Attritus est propter scelera nostra" - "C'est à cause de nos crimes qu'[IL] a été brisé " Isaïe 53
Carcheto - Peinture monumentale - "Attritus est propter scelera nostra" - "C'est à cause de nos crimes qu'[IL] a été brisé " Isaïe 53
Occhiatana
Occhiatana
Calenzana
Calenzana

Moltifao
Moltifao

 

Les lanternes sont de métal découpé et joliment colorées quand le temps ou les restaurations douteuses ne leur ont pas fait injure. Elles reçoivent des bougies et font du cortège des processionnaires un long serpentin lumineux.  

 

Costa
Costa
Novella
Novella
Pioggiola - Casazza
Pioggiola - Casazza

 

On porte aussi des bâtons de procession ( pacette en corse) au sommet desquels  est fixée la figurine d’un saint (en général le protecteur du village ou de la Confrérie).

Moncale - Saint Roch
Moncale - Saint Roch
Montemaggiore - Saint Augustin
Montemaggiore - Saint Augustin

Lavatoggio - Saint Roch
Lavatoggio - Saint Roch
Cateri - Sainte Lucie
Cateri - Sainte Lucie

Lunghignano - Vierge à l'Enfant
Lunghignano - Vierge à l'Enfant
Calenzana - Confrérie St Antoine Abbé
Calenzana - Confrérie St Antoine Abbé
Sorbo-Ocagnano - Saint Pierre
Sorbo-Ocagnano - Saint Pierre

Monticello - Confrérie St Charles Borromée - E pacette :  St Antoine de Padoue, St Charles Borromée, St Sébastien,  la Vierge à l'Enfant
Monticello - Confrérie St Charles Borromée - E pacette : St Antoine de Padoue, St Charles Borromée, St Sébastien, la Vierge à l'Enfant

 

Après les fêtes, lanternes et bâtons reprennent le chemin des sacristies  ou des chapelles de confrérie où ils sont piqués dans les stalles.

COSTA
COSTA