SAINT AUGUSTIN EN CORSE 1ère partie - août 2023
Cassano - Eglise de l'Annonciation - Triptyque de Antonio de Calvi 1505 - Saint Augustin
C'est une grande figure de la chrétienté et de la philosophie que ce saint originaire d'Afrique du Nord qui devint évêque d'Hippone puis Père de l'Eglise latine avec saint Grégoire, saint Ambroise de Milan et saint Jérôme.
Saint Augustin a toute sa place en Corse ; dès le Moyen Age, selon Geneviève Moracchini-Mazel, une quinzaine d'édifices lui sont dédiés. Aujourd'hui encore la Corse compte quelques belles églises placées sous son vocable.
Sa vie, son oeuvre et sa légende
Augustin, fils de Patricius et Monique, petits notables, est né en 354 à Thagaste, municipe d'Afrique (province romaine), actuelle Souk Ahras en Algérie.
Jeunesse facile voire dissipée, brillantes études qui le mènent à Carthage où il rencontre une femme dont il aura un enfant nommé Adéodat et où il enseigne la grammaire et la rhétorique. Alors que son père est païen, sa mère est une fervente chrétienne qui n'a de cesse de voir son fils se convertir. Mais celui-ci d'abord à l'écoute des Manichéens ne parvient pas à trouver sa voie spirituelle.
On le retrouve à Rome puis à Milan où il devient "marchand d'éloquence". Sa rencontre avec Ambroise l'évêque de Milan est déterminante. Philosophiquement d'abord car grâce à lui il s'ouvre à la pensée néoplatonicienne (Plotin).
Sous son influence et celle de sa mère Monique, il va se convertir en 386.
La légende dit : Alors qu'il s'était endormi sous un figuier dans le jardin de son ami Alype, Augustin entend une voix lui dire : Tolle et lege (Prends et lis). A son réveil, il ouvre au hasard le livre qu'il avait près de lui et tombe sur l'Epître de Saint Paul aux Romains où il est dit d'abandonner la débauche et de vivre en Jésus ch.6, 12-13).
C'est ainsi qu'il se convertit et fut baptisé en 387 par Ambroise avec son fils Adéodat.
Plus tard, alors que son fils est mort et qu'avec sa mère il cherche à regagner l'Afrique depuis Ostie, le port de Rome, ils ont tous deux une vision extatique de la vie éternelle.
Monique alors convaincue d'avoir achevé son rôle ici-bas meurt quelques jours après ; elle reste une haute figure chrétienne.
Ses relations tumultueuses avec son fils sont rapportées dans Les Confessions (397-401), une des oeuvres majeures de Saint Augustin.
De retour à Hippone (Bône, aujourd'hui Annaba en Algérie), Augustin est ordonné prêtre, puis il est sacré évêque en 395. Il consacrera son activité à lutter contre toutes les hérésies et à écrire, jusqu'à la fin de sa vie qu'il passe dans la solitude et la méditation.
En 429 alors que les Vandales d'Alaric investissent l'Afrique du Nord et font le siège d' Hippone, Augustin tombe malade et meurt le 28 août 430. Pendant le siège il écrit une de ses oeuvres les plus célèbres La Cité de Dieu (413-426) où il apporte d'abord réconfort aux Romains victimes du sac de Rome par les Vandales en 410 et répond aux détracteurs de la chrétienté.
Son oeuvre philosophique qui traite de Dieu et des hommes, de la Grâce et de la prédestination, du Bien et du Mal, de l'amour de soi et du prochain - pour faire très court et très insuffisant - interroge aujourd'hui encore la philosophie moderne et le christianisme. Par la hauteur de sa pensée et ses écrits, il aura établi les fondements et les assises de l'Eglise moderne.
Les Confessions sont une oeuvre en partie autobiographique. - Augustin fonde le genre en quelque sorte - où il confesse ses fautes, ses errements, relate sa quête de Dieu à la gloire de qui il consacre son ouvrage.
Pour ce faire il convoque et choisit ses souvenirs, disposés dans "les vastes palais de la mémoire" (Confessions, X,8) comme l'enseignait la rhétorique romaine.
De la Trinité fait état de ses méditations sur le mystère de la Trinité que la légende a ainsi illustrées à partir du XIIIè s. :
Alors qu'il marchait le long du rivage, Augustin aperçoit un enfant occupé à vider l'eau de la mer dans un trou, à l'aide d'une coquille. Le futur saint lui dit que son entreprise est vouée à l'échec. L'enfant (un ange ? Jésus ?) lui répond à peu près : "Pas plus que la tienne à vouloir percer le mystère de la Trinité".
Le saint évêque debout occupe toute la partie gauche du tableau. Richement vêtu, il porte les attributs de sa charge, la crosse artistiquement sculptée ornée de l'agneau divin, la mitre et le lourd manteau brodé ornés d'une pierre précieuse, l'aube finement brodée, les gants rouges sûrement anachroniques. Certainement rien à voir avec la vie que menait l'évêque, réputée sobre et frugale.
Il tient un livre ouvert, un de ses attributs majeurs eu égard à son oeuvre.
Le tête du personnage est très belle : ses yeux levés vers la Vierge & l'Enfant montrent la stupeur et l'émerveillement devant la vision.
Le rendu de sa barbe, particulièrement soignée, est à noter aussi.
A Silvareccio, un autre tableau de Marc'Antonio de Santis reproduit les mêmes détails.
La référence à la Trinité encore :
A partir du XVè s. cette belle légende de l'enfant au bord de mer eut une grande faveur auprès des artistes.
Augustin lave les pieds du Christ
Nous n'avons pas encore trouvé d'illustration de cet épisode de la légende augustinienne en Corse mais voici ce qu'il en est.
Augustin reçoit un pèlerin et comme le veut la loi de l'hospitalité, il lui lave les pieds. Or il s'agit du Christ qui lui dit :
"Magne Augustine: hodie meruisti Christum videre in carne”
"Grand Augustin, aujourd'hui tu as mérité de voir le Christ en chair".
Cette légende apparue semble-t-il en Espagne rappelle la vie d'ermite que mena Augustin de retour en Afrique. L'apparition du Christ aurait eu pour but d'inciter le saint à rentrer à nouveau dans la vie séculière : "Je te confie mon Eglise".
La ceinture de la Vierge
Dans cet épisode de la légende, Monique devenue veuve après avoir réussi à convertir son païen de mari, demande à la Vierge quel est le vêtement adapté à son état.
La Vierge lui apparaît vêtue d'un habit sombre et lui remet une ceinture de cuir à boucle métallique qui deviendra l'accessoire obligé des Augustins.
On pense à la légende de Saint Thomas l'incrédule à qui la Vierge remet sa ceinture. (Voir notre page sur Saint Thomas en Corse)
Une rare représentation de cet épisode se trouve dans une chapelle latérale de l'exquis Oratoire Sainte-Croix de Bastia, contigu à la cathédrale.
Ce cartouche apposé sur l'arc de la chapelle dit : Laudes lius (ejus ?) enonciabit Ecclesia : L'Eglise chantera ses louanges.
Augustin et sa mère ont revêtu l'habit des Augustiniens.
Les angelots potelés en bas de la toile présentent les attributs du saint : mitre, crosse et livre.
Nicolas Mattei (Le Baroque religieux corse, op.cit. p.157) précise qu'il existait une confrérie rare, celle des ceinturés, qui "rappelle et fête la remise des ceintures des chanoines réguliers de saint Augustin dont l'église mère est Saint-Jean de Latran".
Au sujet du tableau de l'Oratoire Sainte-Croix, l'auteur signale qu'Andrea della Rocca évêque de Mariana ed Accia de 1707 à 1720 appartenait à cet ordre des chanoines réguliers de Saint-Jean de Latran et que le terrain sur lequel l'oratoire fut bâti était à eux. "Il fut cédé aux confrères bastiais moyennant un paiement annuel de deux livres de cire raffinée"(...)
Il a de plus trouvé la trace du paiement porté à Rome en 1755 par Innocenzio Sarri, date qui éclaire la période de construction ou d'aménagement de l'Oratoire.
Plaisir des yeux ...
Culte et reliques
Comme le souligne Geneviève Moracchini-Mazel (Corsica sacra op. cit. p.107) la renommée de Saint Augustin est déjà très importante de son vivant. Il administre son évêché avec sagesse et humanité, se faisant pasteur, juge, protecteur ; il entretient des relations avec les autres évêques africains, reçoit de nombreuses lettres de partout et lutte avec énergie contre toutes les hérésies (manichéisme, donatisme, arianisme, pélagisme...)
A sa mort estimée le 28 avril 430, après bien des tribulations, et grâce au très pieux Liutbrand roi des Lombards, le corps du saint arriva à Pavie en Italie au VIIIè s. où il est conservé dans l'église San Pietro in Cielo d'Oro.
En 1295 il est canonisé puis le pape Boniface VIII le fait docteur de l'Eglise avec Ambroise, Grégoire et Jérôme.
Augustin est le patron de nombreuses corporations (brasseurs, imprimeurs, théologiens).
Dans une lettre, appelée Règle de Saint Augustin, qui aura l'aval de la papauté, il fixe les conditions d'une vie religieuse, sans pour autant vouloir créer un ordre.
Cependant de nombreux ordres et congrégations monastiques d'hommes et de femmes adoptèrent sa règle, comme les Servites de Marie * par exemple, qui furent bien présents en Corse (6 couvents) ou les Dominicains qui l'intégrèrent à leurs propres règles.
Parmi les premiers, les Ermites de Saint-Augustin dès le Moyen Age, ordre mendiant.
Les chanoines dits de Saint-Augustin ne prononcent pas de voeux comme les moines. Les chanoines dits séculiers ne vivent pas en communauté, contrairement aux chanoines réguliers qui assurent diverses tâches qui les laissent en contact avec la vie extérieure.
A Paris la rue des Grands-Augustins rappelle le monastère augustinien qui s'élevait sur l'actuelle rue Dauphine. La rue des Blancs Manteaux aussi.
Sainte Rita de Caccia était augustinienne. Sur la grand-porte de son sanctuaire à Cascia, en Ombrie (Italie) figurent Augustin et son ami Alipius qui furent baptisés par Ambroise le même jour.
* voir Les Couvents des Servites de Marie
Voir notre page sur Sainte Rita
L'Iconographie
On le voit le plus souvent dans son habit d'évêque ou en moine augustinien en froc et ceinture de cuir.
Un coeur enflammé est son attribut principal ainsi qu'un livre.
Il est souvent représenté en compagnie des autres docteurs de l'Eglise : Ambroise, Grégoire et Jérôme, en particulier dans les décors peints.
La présence du saint dans l'église paroissiale de Sermano rappelle le culte très ancien de Saint Augustin comme en témoigne l'ancienne chapelle médiévale au sud de la commune.(voir Sant'Agostino 2de partie : les édifices
Saint Augustin figure aussi en compagnie d'autres saints, aux pieds de la Vierge ou du Christ.
Saint Augustin est figuré en habit de moine. Deux anges présentent la mitre et la crosse d'évêque.
Dans son ouvrage consacré à l'Inventaire du patrimoine bastiais, Michel-Edouard Nigaglioni précise :
"Cette toile provient de l'église désaffectée du couvent San Francesco de Bastia. Elle a été transférée dans l'église Saint-Jean-Baptiste après la Révolution. L'oeuvre fut commandée pour orner l'autel de la corporation des Pêcheurs, donc postérieure à 1703, année de création de cette corporation" (...).
NB. Ce peintre est le fils de Giuseppe Badaracco très actif en Corse.
Ailleurs en Corse
En bas, à droite du tableau, figure Saint Augustin vénéré dans la région, comme en témoigne une chapelle ruinée Saint-Augustin dans les environs.