LES BACINI DE SAINTE-RESTITUDE EN BALAGNE

 

Mise à jour août 2023

 

 

1. LA CHAPELLE DE SAINTE-RESTITUDE

 

En sortant de Calenzana en direction de Zilia, on passe devant la chapelle de Sainte-Restitude.

 

L'édifice, plutôt simple, est situé dans un enclos charmant, peuplé d'oliviers séculaires. Il honore Restitude (Ristituda), cette martyre originaire d'Afrique ou de Corse, on ne sait pas trop, devenue la sainte patronne de la Balagne.

 

La chapelle a d'abord été l'église de l'ancienne piévanie d'Olmia. Sa base romane (XIe-XIIe s.), a été agrandie aux XIVe s., XVIe s. et XVIIIe s. 

 

 

 

 

2. LES BACINI

 

Au-dessus de la porte d'entrée, sur la façade, on voit une tête d'origine romane comme en voit sur plusieurs chapelles romanes de Corse et qui figurait sûrement sur l'église d'origine.

 

Mais ce qui intrigue ce sont les médaillons de céramique qui se trouvent autour, placés apparemment sans ordre préconçu. 

 

Il faut une bonne vue (et un bon zoom) pour en percevoir les détails. Ils font entre 17 et 25 cms de diamètre.

 

 

 

Il s'agit littéralement de "bols" (italien bacini) ou assiettes en céramique décorée, d'origine arabe, et qui auraient servi de décoration "économique".

 

Si on regarde bien les photos de Calenzana, on voit la forme creuse de l'un d'eux.

 

 

 

 

C'était à l'origine des récipients d'usage domestique, de la vaisselle. Mais colorés et vernissés, ils ont fourni un élément décoratif pratique, durable et moins coûteux que des décorations en marbre.

 

Ils sont apparus sur les façades des bâtiments religieux ou civils entre la fin du Xe s. et le XVe s. dans les pays méditerranéens.

 

Apportés par le commerce avec l'Orient ils viennent  d'Egypte, du Maghreb, de l'Espagne arabo-andalouse ;   ils furent ensuite fabriqués sur place, à Pise et Florence jusqu'au XVe s. Une hypothèse, abandonnée depuis, les croyait rapportés par les Croisés.

 

L'Italie en possède beaucoup surtout en Toscane (région de Pise), en Sicile et en Sardaigne. La France continentale pratiquement pas mais on en trouve sur quelques façades en Corse !

 

Le numéro des Cahiers Corsica (FAGEC 1975 n°53-54) reprend une conférence faite par Graziella Berti et Liana Tongiorgi le 13 mai 1975 à Bastia : Les Céramiques décoratives sur les églises romanes de Corse.

 

Ces deux spécialistes des "bacini" ont fait l'inventaire et la description des édifices corses décorés de ces motifs. Malheureusement, souvent il ne reste plus que les emplacements vides. 

 

Forts de nos nouvelles connaissances, nous en avons repéré  quelques uns.

 

Calenzana chapelle Sainte-Restitude

 

Les 3 bacini de la façade dateraient du XVe s. et auraient été fabriqués à Florence. Leur insertion semble avoir été tardive dans des cavités existantes. Aucun plan ou ordre décoratif n'apparaît.

 

 

Détail des motifs

 

 

 

 

 

 

Sur le premier à droite de la fenêtre, on distingue un récipient assez plat au fond large et orné de motifs végétaux dans les bleus.

 


 

 

Le second encore plus à droite de la fenêtre n'a pas de bord ; peu profond, il présente des motifs plus géométriques :

 

"larges bandes de rubans colorés formant des secteurs qui se croisent à angle droit (...) petites feuilles, volutes, points" (p.23).

 

On voit du bleu, du vert, du jaune, du marron.

 


 

 

 

 

Enfin, sous la fenêtre, on voit bien que c'est un plat plus creux. Ce serait le plus archaïque des trois, typique du "style sévère" du XVe s. dans la région de Florence. 

 

 

 

 


 

 

 

 

Le décor bleu, jaune, brun représente des cercles concentriques avec, sur le bord, des motifs à points, façon hispano-mauresque,

 

dite a brionia, d'après une plante volubile des cucurbitacées, la bryone. 


 

Sur la façade sud de la chapelle (à droite en regardant la façade) ont été mis au jour d'autres bacini encore recouverts lors de l'étude de Berti & Bongiorgi en 1975.

 

 

 

 

Ailleurs en Corse, on peut voir surtout les cavités où ils étaient insérés ; les bacini du XIIe s. ont presque tous disparu.

 

Certains morceaux ont été retrouvés lors de fouilles autour des sanctuaires. Le plus ancien proviendrait de San-Nicolao de Chiatra.

 

Mais les cavités, toujours creusées pour un bacino précis, renseignent sur la forme des récipients utilisés : plat ou creux, avec pied, anneau etc. 

 

 

Chapelle Sainte Trinité d'Aregno ; église San Michele de Murato

 

 

 

 

 

Chapelle St-Pierre-St-Paul à Lumio 

 

Cette ravissante chapelle du cimetière ne figure pas dans l'inventaire des savants italiens. Mais on verrait bien sur l'abside un trou significatif... (interprétation personnelle).

 

A comparer avec l'abside de San-Piero in Grado à Pise.

 

 

 

 

Eglise Saint-Jean-Baptiste de Carbini.

 

Elle comptait 25 bacini.

 

 

 

 

Cathédrale du Nebbiu à Saint-Florent.

 

 

 

 

 

 

 

 

Poggio-di-Tallano (19 bacini) ; l'église St-Jean-Baptiste serait la seule à conserver un bacino ancien du XIIe s.

 

 

Grossa (Sartène) - Eglise St-Jean-Baptiste - cl. Corse romane
Grossa (Sartène) - Eglise St-Jean-Baptiste - cl. Corse romane
Grossa (Sartène) - cupules des bacini - cl. Corse romane
Grossa (Sartène) - cupules des bacini - cl. Corse romane

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chiatra : chapelle Saint-Nicolas ; il ne reste que les cupules des bacini 

 

(photo : Corse romane.eu)


Olmeto chapelle du saint-Esprit-cl.mapio
Olmeto chapelle du saint-Esprit-cl.mapio
Olmeto cl.mh
Olmeto cl.mh
Olmeto cl.mh
Olmeto cl.mh
Olmeto cl.mh
Olmeto cl.mh

 

 

Enfin l'église Sainte-Catherine de Sisco (Cap Corse), sur son promontoire qui domine la mer,  en présente le plus grand nombre, encore en assez bon état (sauf le numéro 10).

 

 

 

 

Des "bacini" en céramique, d'environ 12cm de diamètre, au nombre de 10, sont disposés autour d'une grande arcade et décorent la façade.

 

 

 

Les bacini 1, 4, 5, 8 et 9 sont du même type.

 

"Sur le fond autour d'une fleur stylisée à quatre pétales, quatre secteurs en bandes parallèles décorées par des éléments en forme d'ergot et par du fin treillis".

 

(Les céramiques décoratives sur les églises romanes de Corse - FAGEC - Bastia 1975 - Berti-Tongiorgi)

 

 


 

 

 

 

Bacino 2 : "lustre métallique couleur cuivre sur émail blanc ivoire.

 

Sur le fond, des motifs végétaux stylisés en forme de palmette ouverte". Très détérioré.

 

Bacino 3 : "sur le fond, autour d'un carré central couvert d'un réseau enrichi de points, des bandes parallèles disposées en secteurs".

 


 

 

 

Bacino 6 : "lustre métallique couleur cuivre et bleu sur émail blanc ivoire. Sur le bord, des motifs en forme d'arc et des entrelacs en bleu.

 

Sur le fond, toujours en bleu, quatre triangles avec des entrelacs se détachent d'un carré avec une fleur stylisée au milieu".

 

Bacino 7 : "sur le bord, des motifs en forme d'arc et des entrelacs en bleu.

 

Sur le fond également bleu une bande centrale et sur les deux côtés, une forme ovale terminant en pointe".

 

 

 

 


 

Sur le côté nord du deuxième bâtiment se trouve un  bacino isolé en  bon état de conservation.

 

"De couleur rouge brique, il présente sur le bord une série continue de segments en S, bruns. Sur le côté, une large bande verte aux contours bruns.

 

Au fond, une auréole rayonnée entoure le monogramme de Saint Bernardin de Sienne en caractères gothiques, motifs exécutés en vert et entourés de brun. La référence à ce saint révéré en Italie permet de dater et situer la fabrication de l'objet".

 

 

 

 

 

Quelques bacini en Italie : Pise, San Miniato en Toscane.

 

En Sardaigne : NS de Saccargia, San Pietro Sorrès, San Antioco di Bisarcio (Sassari), San Gavino à Porto Torrès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parfois ces objets en céramique apparaissent dans des tableaux d'époque comme dans La Madonna della Candeletta de Carlo Crivelli (1492) ou dans La Cène à Emmaüs du Caravage (signalé dans le site maiolica.com), tous à la pinacothèque  de Brera à Milan. 


 

LES BACINI DE CERAMIQUE DE PISE

 

 

Décembre 2017 : retour de Pise, dont le Museo Nazionale est dépositaire de la plus importante collection de bacini (plus de 600) , ces bols de céramique qui dès le Moyen Age décoraient les façades des églises (voir notre page sur les Bacini de Sainte-Restitude). 

 

Ils arrivaient du Moyen Orient, du Maghreb, d'Espagne grâce à l'important commerce que Pise entretenait avec ces pays.

 

Peccato et patatras... la section Céramiques du Museo Nazionale installée dans l'ancienne Chiesa San Matteo sur le Lungarno est fermée actuellement au public ! 

 

 

Heureusement, quelques vitrines présentaient une quinzaine d'exemplaires qui nous ont permis de ne pas repartir bredouilles.

 

Egypte XIè s.
Egypte XIè s.
Espgne XIIè s.
Espgne XIIè s.
Tunisie XIè s.
Tunisie XIè s.

 

Ces modèles ont été déposés de certaines églises de Pise ou retrouvés en débris lors de fouilles.

 

 

 

Ainsi nombre d'entre eux ont été découverts sous la Tour de l'Horloge, célèbre sous le nom de Tour de la Faim où fut emprisonné le comte Ugolin, condamné à mourir de faim et à dévorer ses enfants morts avant lui.

 

Dante en fait un des damnés des cercles de son Enfer (chant XXXIII).

 


Pise - La tour de l'horloge
Pise - La tour de l'horloge

 

On s'éloigne un peu des églises corses dira-t-on mais on sait quel rôle à joué Pise en Corse. Son occupation y a laissé de nombreux édifices de style roman pisan que nous pouvons encore admirer dans l'île.

 

Rendez-vous sur la page consacrée à Saint Rainier, patron de Pise.

 

La belle chapelle de Montegrosso en Balagne lui est dédiée. C'est la seule de Corse et l'on verra que la fête annuelle de ce saint amenait de nombreux commerçants italiens et corses de Pise qui venaient vendre leurs  produits et sans doute des céramiques.

 

 

Suivre le lien vers Les Bacini décoratifs de Sainte Restitude & en Corse et vers Sainte Restitude patronne de la Balagne

 

 

 

RETOUR A L'ACCUEIL