De retour de Pise où nous sommes partis non pas tant à l'assaut de la Tour (elle penche toujours, oui) qu'à la découverte des bacini (voir notre page Les Bacini suite) et sur les traces de Saint Rainier, patron de la ville.
Pourquoi cet intérêt ? Pour la chapelle San Raniero de Montegrosso en Balagne (pieve de Pino) qui est dédiée à Rainier de Pise.
Construite vers 1170, il semblerait qu'elle soit le seul édifice de Corse dans ce cas ce qui témoigne des liens qui existaient entre la Corse et la Toscane.
Bel exemple du style roman pisan, elle serait la première église érigée en l'honneur du saint et elle est signalée pour la première fois en 1386 dans les Archives épiscopales de Pise.
Selon G.Moracchini-Mazel (Eglises romanes de Corse op.cit) San Raniero de Pise est mort en 1161, la chapelle de Corse dont c'est le vocable originel a dû être construite peu de temps après la mort du saint.
Quelques mots sur Ranieri Scaccheri dit Rainier de Pise : moine ermite du XIIe s. né à Pise en 1117, il est un de ces bienheureux qui ont passé une jeunesse de plaisirs et d'amusements divers.
Troubadour, il allait de château en château pour chanter et divertir les gens.
Un peu voleur aussi il aurait eu le doigt coupé en volant un fromage ...
Jusqu'au moment où à la faveur d'une rencontre, il abandonne sa vie dissipée et se consacre à la foi.
Cette rencontre est intéressante pour nous puisqu'il s'agit d'un saint homme ermite et prosélyte, originaire de ... Corse : Alberto Leccapecore un gentilhomme soldat, fils d'une noble famille corse qui abandonna tout après la mort de son frère dans un duel pour se consacrer à la vie érémitique et errante.
"Il chercha en fait une voie nouvelle : vivre selon l'Evangile dans le siècle. Créateur d'une petite fraternité partageant son idéal, il fut surtout, au cours de son séjour pisan, l'inspirateur de saint Rainier.
A la fin de sa vie, il reprit ses pérégrinations pour aller jusqu'à Compostelle puis à Paris, où il devint le conseiller de Louis VII.
Il mourut en France, à Clairvaux, alors qu'il retournait à Pise.
Le rédacteur de la Vita de saint Rainier, Benincasa, lui a consacré une véritable Vita enchâssée dans la première : son oeuvre nous permet de saisir toute l'importance d'Alberto pour l'émergence d'une spiritualité laïque dans la première moitié du XIIe siècle." (Alain Venturini).*
C'est alors qu'il séjournait à Pise au couvent de San Vito, qu'eut lieu la rencontre avec Rainier, qu'il convertit.
Là-dessus, Rainier embarque sur une galère pour un pèlerinage à Jérusalem ; quelques miracles plus tard, les prêtres de la ville sainte le revêtent d'une tunique d'esclave en laine rude la "schiavina". C'est ainsi qu'il est souvent représenté en Italie.
Par sa vie exemplaire il est considéré comme un précurseur de Saint François d'Assise.
A Montemaggiore la statue du saint qui est portée dans l'Eglise Saint-Augustin le 17 juin, jour de sa fête, le représente en pèlerin tenant la croix de Pise.
La chapelle San-Rinieru de Montemaggiore
Son bel appareil qui alterne granites clairs et foncés a sans doute été inspiré de la Trinité d'Aregno et rappelle les églises de Pise.
L'alternance régulière des couleurs n'a pas été réalisée jusqu'en haut (faute de moyens ? différents artisans ?).
En haut de la façade, la traditionnelle croix évidée et deux têtes qui seraient celles d'une femme et d'un docteur.
A l'intérieur :
Les fonts baptismaux ont été déjà signalés par Mgr Mascardi lors de sa visite de 1587. Un serpent s'enroule autour de la colonne : le chrétien se régénère par le baptême comme le serpent après sa mue.
Un dernier fait : Lorsque Lunghignano et Montemaggiore ont fusionné en 1972, une éphémère commune Saint-Rainier de Balagne s'est constituée ; elle a disparu quand en 1973, la commune de Montegrosso est née, adjoignant Cassano aux deux autres villages.
Sources :
G. Moracchini-Mazel, Les Eglises romanes de Corse, 1967.
Bulletin de la Société des Sciences Historiques & Naturelles de la Corse 1987, n°652 : Enzo Virgili, Una permanenza pisana in Corsica, la Chiesa San Ranieri.
*Le Bulletin de la société des Sciences historiques et naturelles de la Corse n°760-761 (La Corse et le monde méditerranéen de la fin du Moyen Age à l'époque moderne) contient un article d'Alain Venturini pp. 81-100 :
Le Bienheureux Alberto Leccapecore de la Corse à Clairvaux, via Pise, Compostelle et Paris (vers 1090-vers 1155).
Cet article de fond s'enrichit de cartes du parcours et des voyages de ce personnage méconnu.