A l'automne 2020, le tableau de l'église Saint-Michel d'Asco, la Crucifixion, oeuvre attribuée à Marc'Antonio De Santis par M.-E. Nigaglioni et restaurée par Madeleine Allegrini (1), a repris sa place dans l'église. (voir notre page sur II Asco).
Aux pieds du Christ en croix dont le sang est recueilli par des anges dans des vases qui figurent le Saint-Graal, Marie et Marie-Madeleine s'affligent, en présence d'un personnage barbu : saint Antoine abbé. Au bas du tableau, les âmes du Purgatoire et des pénitents.
Ce beau travail de remise en valeur est l'occasion de s'intéresser au culte rendu par les Corses à Saint Antoine le Grand, ermite d'Egypte.
Né en 251 à Qemra (Haute-Egypte) dans une riche famille chrétienne d'agriculteurs, Antoine très jeune, distribue tous ses biens et se retire au désert dans la solitude et le dénuement, la pénitence et la prière.
Il suit ainsi les préceptes de la Bible (2) et devient le patriarche des moines cénobites (qui vivent en communauté) et anachorètes (qui vivent en ermite).
A partir de 305, il accepte des disciples et fonde deux grands monastères. Puis il retourne à sa solitude à Pispir dans un fortin abandonné qui deviendra le couvent Saint-Antoine.
En 311, il sort de sa retraite lors des persécutions de l'empereur Maximin pour aider les chrétiens à Alexandrie ; où il reviendra en 355 pour combattre l'arianisme (3).
Puis il retournera au désert. Il fait de nombreux disciples. Il est considéré comme le fondateur de l'érémitisme chrétien.
Ainsi, après avoir fondé plusieurs monastères et diffusé son enseignement dans sa correspondance (y compris avec l'empereur Constantin), il meurt en 356 à l'âge de 105 ans.
La légende de "l'invention" (la découverte) de son corps par le patriarche d'Alexandrie Théophile dit que deux léopards le déterrèrent ; on le trouva enroulé dans le linceul de fibres de palmier donné par Saint Paul.
Sa vie a été écrite au IVè s. par l'évêque Athanase d'Alexandrie, père de l'Eglise, qu'Antoine avait soutenu dans sa lutte contre l'arianisme et popularisée par la Légende dorée de Jacques de Voragine (1261-1266).
L'iconographie
Sur le tableau d'Asco on voit les principaux attributs du saint : un vieillard barbu habillé de bure , appuyé sur un bâton en forme de Tau (comme la lettre T) - signe qu'il porte aussi sur son vêtement - et équipé d'une clochette (clariné) destinée à éloigner le démon. Il porte souvent le livre de la règle des Antonins.
Le Feu de Saint-Antoine
Au creux de sa main droite s'élève une flamme vive qui symbolise le feu des ardents ou feu de Saint-Antoine (maladie de l'ergot de seigle puis zona) contre laquelle on invoque Saint Antoine abbé. Cette maladie provoquant des hallucinations, on a pu penser que Saint Antoine en souffrait lui-même.
Les Antonins soignaient les malades et les impotents (symbole du bâton comme béquille) et sont considérés comme le premier ordre hospitalier.
La protection de Saint Antoine contre cette maladie s'est étendue à d'autres maux, comme la peste ; on le voit donc aux côtés de Saint Sébastien et Saint Roch (voir notre page Images de la peste en Corse) comme ci-dessous et à l'oratoire de Calvi (voir plus bas).
Le cochon de Saint Antoine abbé
Un cochon, accompagne traditionnellement le saint et a fait de lui le protecteur des charcutiers. Pourquoi ce cochon ?
Les moines antonins élevaient des cochons porteurs d'une clochette qui étaient nourris des restes apportés par les fidèles.
La Tentation de Saint Antoine
Alors qu'il est retiré à Pispir, il est victime, comme le Christ, de nombreuses tentations et tribulations diaboliques (attaques de démons et d'animaux monstrueux, luxure etc.) qu'il repousse avec vaillance (3).
Cet épisode a donné lieu à de nombreuses oeuvres aussi bien picturales, littéraires que musicales jusqu'à aujourd'hui, tant il fournit d'interrogations sur l'homme et ses règles de vie (4).
La visite à Saint Paul ermite
Un autre épisode de sa légende est sa visite à Saint Paul, légendaire ermite, doyen des anachorètes de la Thébaïde (Egypte), ces ermites vivant dans le dénuement et la contemplation.
Ce jour-là, le corbeau qui ravitaillait le solitaire d'ordinaire pensa à apporter deux pains.
Sur le chemin du retour, Antoine apprend la mort de Paul. Il revient sur ses pas et enterre l'ermite, aidé par deux lions comme on le voit sur le tableau de Vélasquez infra.
Le culte de Saint Antoine abbé
Il se répand en Orient et en Occident dès le Ve s. La dépouille du saint a été transférée à Alexandrie et dès lors des reliques circulèrent.
En France le premier monastère antonin dans le Dauphiné date de 1092. Il prétendit détenir la dépouille du saint thaumaturge. Querelles ...
L'Ordre des Antonins fondera de nombreuses succursales hospitalières dites "commanderies".
Saint Antoine ermite est fêté le 17 janvier d'où parfois son appellation Saint Antoine de Janvier comme à Castifao. Ici ou là, on l'appelle aussi Saint Antoine des cochons (Sant' Antonio del porco).
Patron des charcutiers, des bergers et des porchers, c'est à sa fête qu'on tuait le cochon, sevrait les agneaux et fabriquait le fromage. Geneviève Moracchini-Mazel cite ce proverbe :
"A Sant'Antone, in mezzu gennaiu, stacca l'agnellu et fa u casgiu" (op.cit. p. 104)
En Corse, Geneviève Moracchini-Mazel dénombre une trentaine de monastères (monachie ou abbadie) au Moyen Age.
Elle énumère les sanctuaires encore actifs sous son vocable :
Ajaccio, Aregno, Belvedere-Campomoro, Casalabriva, Lugo-di-Venaco, Muro, Partinello, Riventosa, Rosazia, San Gavino di Fiumorbo, Santa-Maria di Lota, Serra di Ferro et Sisco.
Autre signe de la vitalité du culte : les nombreuses plaques d'ex voto apposées près des statues et tableaux.
LES EDIFICES SAINT-ANTOINE ABBE EN HAUTE-CORSE
Beaucoup de ces édifices sont des chapelles de confréries. Antoine abbé représente un modèle de vie chrétienne. Le rôle de base des confréries étant de venir en aide aux malades et aux affligés, on comprend bien le sens du vocable.
CAP CORSE
ERSA
LURI
Au hameau de Poggio on signale une église du XIVe s. édifiée dans l'enceinte d'un château aujourd'hui disparu. Au hameau de Spergane : chapelle Sant'Antonio ermite.
BRANDO (Castellu)
NONZA
BARRETTALI (Conchiglio)
Eglise de l'Annonciation de l'ancien couvent des Servites de Marie.
Le saint à droite pourrait être saint Antoine abbé ou saint Augustin dont la Règle était suivie par les Servites
(voir notre page Saint Augustin 3)
TOMINO - Eglise Saint-Nicolas
Les nombreuses représentations de St Antoine abbé dans cette belle église dédiée à St Nicolas (voir notre page St Nicolas) font dire à G. Moracchini-Mazel que le culte des deux saints était égal au XVIIè s. à Tomino.
BALAGNE
AREGNO - EGLISE SAINT-ANTOINE ABBE
L'église, implantée au coeur du village, est attestée dès le XVIIè s. sous le vocable Santa-Croce. C'est en 1730 qu'elle devient Sant'Antonio Abbate.
La façade baroque rose et blanche est ponctuée de pilastres doriques et présente un fronton original, tout en courbes. Le majestueux campanile ocre, de style Renaissance montre dans une pierre d'angle la date de 1810.
CALENZANA - CHAPELLE DE LA CONFRERIE SAINT-ANTOINE ABBE
La chapelle de confrérie renferme un magnifique "sepolcro", toile peinte de Giacomo Grandi installée pour la Semaine sainte.
voir notre page :
La semaine sainte : 2) les sepolcri.
CALVI - ORATOIRE SAINT-ANTOINE ABBE
Situé dans la citadelle de Calvi, l'oratoire abrite la Confrérie Saint-Antoine abbé depuis sa construction au XVIè s. La Confrérie elle, a été fondée au XIVè s. ; elle est l'une des plus actives de Corse.
Elle accomplit un important travail de recherche et de conservation des textes et chants liturgiques et de traduction en corse (le missel romain).
Nombreuses cérémonies se tiennent encore dans l'Oratoire qui est aussi un lieu culturel (expositions, concerts...)
On accède à ses trésors par une entrée discrète : un escalier étroit surmonté d'un fronton sculpté.
Datée de 1513 (MCCCCCXIII) cette superbe fresque est sûrement un ex voto du petit donateur - Bartolomeus - pour avoir échappé à la peste : outre la Vierge sont représentés trois grands saints anti-pesteux : Roch, Sébastien et Antoine abbé.
L'influence italienne est sensible : ce petit cochon rayé figure dans nombre d'oeuvres vues en Italie (Sienne, Orvieto...) ; la bordure de grotesques et de rinceaux en témoigne aussi.
A Calvi dans la cathédrale Saint-Jean, St Antoine abbé figure auprès de St Jean-Baptiste sur le polyptyque de Giovanni Barbagelata (peintre génois 1359-1408).
voir notre page Jean-Baptiste
Autres oeuvres en Balagne
Notes
(1) Depuis des années, Madeleine Allegrini consacre son art à la sauvegarde du patrimoine corse. Récemment, elle a fait une communication sur son travail au Colloque "Fresques de Corse et de Méditerranée occidentale" en 2018, qu'on peut lire dans les Actes du colloque publié par la Collectivité de Corse et les Editions éoliennes.
(2) "Si tu veux être parfait, (dit Jésus au jeune homme riche), va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel" (Mathieu, 19, 21)
(3) Arianisme : doctrine d'Arius théologien d'Alexandrie au IVe s. ,qui réfute la notion de Trinité et fait de Dieu et Jésus deux êtres distincts, l'un divin l'autre temporel. Arius sera excommunié et sa doctrine qualifiée d'hérésie par le Concile de Nicée constitué par l'empereur Constantin en 325.
(4) Les tentations de Saint Antoine ont inspiré les plus grands auteurs :
- Baudelaire : Femmes damnées (Les Fleurs du Mal, CXI 1857)
... D'autres [femmes], comme des soeurs, marchent lentes et graves
A travers les rochers pleins
d'apparitions,
Où saint Antoine a vu surgir comme des
laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations
...
- Flaubert : La Tentation de Saint Antoine (1874), long poème en prose onirique et visionnaire, chorégraphié par Maurice Béjart :
(...) C’est le Diable, accoudé contre le toit de la cabane et portant sous ses deux ailes, — comme une chauve-souris gigantesque qui allaiterait ses petits, — les Sept Péchés Capitaux, dont les têtes grimaçantes se laissent entrevoir confusément. "(ch 2)
ALLER VERS SAINT ANTOINE ABBE 2
ALLER VERS SAINT ANTOINE ABBE 3