La Vierge de Miséricorde
(mise à jour janvier 2021-septembre 2023)
Ce thème s'est développé au XVe s. pour implorer la protection de la Vierge.
Nulle autre qu'elle, dit Louis Réau (op.cit.) n'est "la plus éloquente, la plus influente des avocates au tribunal de Dieu".
Les Cisterciens disaient : "elle serait capable de faire absoudre le diable et Judas s'ils se confiaient en sa miséricorde".
La protection contre les fléaux qui menacent l'homme
Les tableaux, les bannières de procession qui montrent la vierge entourée de saints intercesseurs sont autant d'ex voto contre la peste. Ce serait le Franciscain saint Bernardin de Sienne qui, au XVè S. , aurait par ses prédications poussé les Italiens à se réfugier sous la manteau de la Vierge pour conjurer la peste.
(cliquer sur ce lien pour voir notre page consacrée aux "Images de la peste")
Sur le tableau ci-dessous, on voit Marie étendant largement son manteau pour abriter les hommes du courroux divin ; son manteau richement brodé est percé de flèches ; Jésus lance ses traits d'en haut (voir les flèches de Sébastien) qui sont arrêtés par le manteau.
Trois fléaux, la guerre, la famine, la peste (comme pour David).
Autour de lui deux anges : l'un sort son épée, l'autre la remet au fourreau.
A droite de la Vierge, saint Laurent et son gril, saint François et saint Bernardin ; à gauche saint Pierre de Vérone le crâne fendu et saint Sébastien. Et aussi Herculan de Pérouse, saint Constant d'Ancône et Saint Louis de Toulouse *.
Le bas du tableau montre la ville subissant les méfaits de la peste sous la forme d'un démon noir transpercé par l'ange, peut-être Michel.
* selon l'auteur du site artifexinopere.
Pour l'instant, nous n'avons pas trouvé trace en Corse de ce motif mais...affaire à suivre !
Le Culte de la Vierge et les ordres monastiques : Vierge au manteau et Vierge de Miséricorde
Rappelons que le culte de Marie, pratiquement absente de la Bible en actions et paroles , ne se développa qu'après que la misogynie biblique et ecclésiastique eut été surmontée.
Ainsi naquit la "Nouvelle Eve...
D'autre part, il faut trois choses pour le candidat à un culte de bon aloi : le martyre, les miracles et les reliques. Marie n'a rien de tout cela. Les fidèles se sont rabattus sur son habit, morceaux de voile, ceinture etc. ou des objets lui ayant possiblement appartenu.
(voir nos pages sur Saint Thomas et Saint Augustin)
Au XIVè s., les moines cisterciens de Saint Bernard, parmi les nombreux ordres qui se consacrèrent à la Vierge, furent les premiers à honorer cette figure de la Vierge au manteau dont l'origine est encore l'objet de supputations des experts.
Un moine cistercien du XIIIè s., alors qu'il se lamentait du fait qu'aucun membre de son ordre ne figurât au Ciel, aurait eu la vision de la Vierge ouvrant son manteau sous lequel se pressait une multitude de petits moines cisterciens. Cette image plut beaucoup y compris aux Dominicains qui se l'approprièrent.
Sur les sceaux des abbayes cisterciennes figure la Vierge protégeant de son manteau (le pallium) les moines vêtus de blanc. Symboliquement, le manteau pourrait représenter l'abside de l'église.
Plus tard, les Servites de Marie, bien présents en Corse, honorèrent la Vierge des Sept Douleurs, vêtus d'un froc noir qui rappelle le deuil de la Mère.
Et bien d'autres ... Dominicains, Franciscains, Chartreux, ordres masculins et féminins.
voir notre page Les Couvents des Servites de Marie en Corse et La Vierge des Sept Douleurs
Quam tibi Cisterci placeat sanctissimus Ordo, Haec nobis primum ostensio facta probat : Ergo tuo maneat semper sub nomine tutus, Deditus ante alios, Virgo beata, tibi.
Ensuite, et sous l'influence des confréries, sous le manteau de la Vierge figurèrent les laïcs, placés selon leur classe sociale ; certaines oeuvres montrent face à face pape et empereur.
Selon le sexe (les femmes à gauche de la Vierge, du côté de l'Evangile au prétexte qu'elles ont plus besoin que les hommes d'approcher la parole divine...)
Ainsi l'oeuvre d'Enguerrand Carton au Musée Condé de Chantilly (voir ci dessous) représente la société française.
La Vierge au manteau qui privilégiait un groupe social devint plus généralement la Vierge de Miséricorde protégeant tous les humains.
La Vierge et Antonio Botta
La Vierge de Miséricorde apparaît à un paysan italien, Antonio Botta, le 18 mars 1536 dans la vallée de San Bernardo près de Savone.
Puis à plusieurs reprises lors des épidémies de peste qu'elle promet de faire cesser. "Miséricorde plutôt que justice" aurait-elle dit.
Un sanctuaire, édifié sur les lieux des apparitions, est motif à de nombreux pèlerinages et dévotions ; le culte se répand dans toute l'Italie et l'Europe jusques et y compris en Corse, possession génoise.
De nombreuses copies de la sculpture italienne circulent dont une pour Louis XIV paraît-il.
LA MADUNUCCIA D' AJACCIO
A la suite d'une apparition de Notre-Dame de Savone, la ville d'Ajaccio aurait été épargnée par l'épidémie de peste.
C'est pourquoi la Vierge de Miséricorde, appelée "la Madunuccia", est depuis 1656 la patronne d'Ajaccio, fêtée le 18 mars.
La fête débute le soir du 17 mars par les prières traditionnelles devant la statue de Notre Dame de la Miséricorde.
Le 18 mars on se rend en cortège à la cathédrale pour la grand messe. La procession fait ensuite le tour de la ville.
Nous pouvons donc mettre un nom (Antonio Botta) sur le "petit bonhomme" vu ici ou là au pied de la Madone !
Misericordia et veritas obviaverunt sibi
La miséricorde et la bonté se rencontrent
Psaume 85
La statue de Zuani, ci-dessus porte sur son socle l'inscription tirée de l'hymne Ave maris stella
Monstra te esse matrem : "montre que tu es notre mère"
comme sur la bannière ci-dessous de l'église de Feliceto en Balagne.
C'est une référence au miracle de la lactation de saint Bernard de Clairvaux.
L'église de Propriano est placée sous le vocable de Notre-Dame-de-la-Miséricorde.
LA MADUNETTA DE BASTIA
Une Madunetta de marbre a été installée sur le môle génois à Bastia dans un édicule votif de style baroque, vers 1670-71 pour veiller sur les marins et les pêcheurs.
Cette oeuvre du XVIIe siècle de facture génoise matérialise un culte typiquement ligure : celui de Notre Dame de la Miséricorde ou Notre Dame de Savone, qui va se diffuser en Corse au cours de la période moderne.
C'est une des plus anciennes statues du patrimoine bastiais.
Le Musée de Bastia a présenté cette oeuvre lors de l'exposition Corsica genovese, dont elle était l'un des fleurons.
Exacte réplique de la statue de Savone avec sa tête d'ange en guise de broche, elle est très dégradée et rongée par le sel et les embruns malgré les restaurations.
La Vierge est représentée debout écartant les pans de son manteau de manière protectrice.
Une copie a été installée dans la niche de la jetée.
Les offrandes étaient recueillies dans un tronc et récupérées par les Pénitents noirs de Bastia pour racheter les captifs des barbaresques au XVIIe s.
Bastia compte d'autres édicules votifs de la Vierge de Miséricorde du XVIIe s. (voir l'étude de la médiathèque culturelle de la Corse)
Quelques autres Vierges de la Miséricorde glanées ici et là lors de nos pérégrinations.
La Vierge en contrapposto (déhanchée) abrite laïcs et ecclésiastiques sous son manteau, englobant ainsi la société française.
Les commanditaires Jean Cadard et sa femme Jeanne des Moulins sont présentés par leurs saints patrons : Saint Jean-Baptiste à gauche et Saint Jean l'Evangéliste à droite. Le fond d'or symbolise le Paradis.
et pour terminer flânerie dans les "calli" de Venise
Dans cette fonction d'abri et de protection maternelle, on a pu mettre en relation la Vierge de Miséricorde et la Madonna del Parto (celle aussi de Piero della Francesca) ouvrant pareillement leur manteau sur une robe à taille haute. C'est aussi le cas vu plus haut de la statue de Zuani !
Cliquer ici pour "Images de la peste en Corse"
Voir aussi notre page sur La Charité et les oeuvres de Miséricorde et Saint Martin pour le manteau