SAINT JOSEPH OU L'HISTOIRE D'UNE REHABILITATION
1ère partie (mise à jour août 2023)
Le 19 mars on fête à Bastia Saint Joseph, patron de la ville depuis 1632, après Marie, et titulaire de plusieurs églises et chapelles dans l'île.
A travers la ville, emmenées par l'archiconfrérie de Saint-Joseph depuis l'Eglise Saint-Joseph) se succèdent processions, messe, fêtes, avec distribution des fameux panzarotti, beignets de farine de pois chiches ou de riz.
A Ajaccio, à l'oratoire Saint-Joseph d'Aspretto, entretenu par la corporation des menuisiers, on distribue après la messe, de petits canistrelli bénits.
L'histoire de Joseph
La présence de Joseph dans l'histoire sainte et dans les églises est si importante que nous allons nous limiter aujourd'hui à quelques épisodes de sa légende et à leur représentation en Corse.
On sait que Joseph, prétendu descendant de David , est un modeste charpentier : "faber lignarius" ou "falegname" en italien.
Une nuit , alors qu'il est déjà très âgé (80 ans ?), un ange visite Joseph en songe pour lui annoncer qu'il va épouser Marie et qu'il aura pour fils adoptif un Dieu incarné.
Le tableau de Belgodère présente un air de famille avec cette huile sur cuivre de Francesco Trevisani (1656-1746), dit "Il Romano" peintre classé "rococo", continuateur de Carlo Maratta (1625-1713). L'oeuvre conservée au Musée des Offices date de 1699-1700.
Même descente acrobatique de l'ange, même position de Joseph.
La mise en scène diffère : là où Trevisani ménage une seconde scène où l'on voit Marie et le berceau de l'enfant, le tableau de Belgodère met en avant la vie quotidienne de Joseph : outils du charpentier (rabot, marteau, scie, hache et billot), bougie, fiasque de vin...
On aime la composition : deux diagonales, de l'ange à la colombe et de la jambe au bâton fleuri, cernent le flot de lumière émanant de l'Esprit-Saint ; à droite, la fenêtre à croisillons laisse voir le rayon de lune.
Le corps de Joseph à moitié dénudé est celui d'un homme en pleine force malgré sa barbe et ses cheveux blancs. L'envol des étoffes, les plis et drapés suggèrent le mouvement, comme le veut l'esthétique baroque.
Le décor peint de Penta-di-Casinca est de Jean-Noël Coppolani, peintre corse (1827-1880).
L'histoire de Joseph le montre ensuite en concurrence avec d'autres prétendants à Marie, bien plus jeunes et avenants, qui le moquent.
C'est l'épisode du bâton qui fleurit miraculeusement, le désignant ainsi comme l'élu.
Les Freudiens se sont régalés ... mais dans la tradition c'est le symbole de la renaissance.
Vient ensuite le mariage qui a donné lieu à de bien belles oeuvres. Le tableau de la chapelle Saint-Joseph de Milaria, hameau de Felce en Castagniccia, ne démérite pas.
On y voit le grand prêtre unir les deux époux qui échangent un anneau, d'onyx, d'après les sources.
Joseph est présent aussi pour la Nativité, l'Adoration des bergers, l'Adoration des mages, bref tout ce qui ressort des "Enfances de Jésus", dans des scènes si souvent représentées qu'elles feront l'objet d'autres pages.
Deuxième songe de Joseph : un ange l'informe qu'Hérode fait massacrer tous les enfants en bas âge, suite à l'information donnée par les Rois Mages (Matthieu 2,13-16).
L'image du cortège de Joseph, tirant l'âne qui porte la mère et l'enfant a séduit bien des artistes, ainsi que celle du repos pendant la fuite.
L'enfant dort ou joue, les parents veillent, l'âne mastique dans un coin. Une famille normale à ceci près : un ange leur apporte de la nourriture cueillie sur un palmier, histoire à l'origine de la palme symbolique.
L'ange donne parfois des cerises, fruits qui préfigurent le sang et la Passion du Christ. Voir la Madone à la Cerise du Couvent d'Alesani en Castagniccia.
Une scène tout à fait charmante à laquelle on peut ajouter celle de la Madonna al velo ou de l'Enfant endormi, où Joseph est parfois présent.
Marie découvre l'Enfant pour signaler au fidèle qu'il est bien un dieu fait homme mais c'est aussi une image du linceul qui enveloppera le corps de son fils.
La toile de l'église de Palmento, hameau de Santa-Reparata di Balagna peut être attribuée au mystérieux "Maître des anges musclés" dont on sait depuis peu (2018) qu'il s'agit de Giuseppe Ronchi (voir notre page) grâce à la découverte des chercheurs de la CTC.
Joseph est encore présent dans l'épisode de la Présentation de Jésus au temple (la Circoncision) où il apporte une corbeille avec des colombes.
Troisième songe : l'ange avertit Joseph qu'Hérode est mort. La Sainte Famille peut se rapatrier à Nazareth.
Les représentations de la Sainte Famille sont très nombreuses et ont fait l'objet d'une page à part : Sainte Famille et Sainte parenté.
Puis Jésus entre dans la vie publique et Joseph disparaît de l'histoire.
Le culte de Joseph
Quand on sait que Joseph n'apparaît pratiquement pas dans les Evangiles canoniques, où il n'existe que par rapport au Christ qui est parfois désigné comme "le fils du charpentier" (Marc VI, 3, Luc IV,22), on comprend le développement tardif de son culte.
Au Moyen Age, il est même carrément moqué : barbon chenu, balourd et avare, appuyé sur un bâton, il devient un personnage de comédie dans des spectacles comiques comme certains Mystères.
Au mieux on loue sa bonté et les soins qu'il apporte à sa famille comme dans ce tableau où on le voit souffler sur le feu.
Il est souvent de côté, assoupi ou appuyé sur son bras, spectateur.
Le tableau de l'église Saint-Sébastien de Monticello ou celui de St-Pierre-et-St-Paul à Campile, est une copie d'une toile de Raphaël qu'on a rencontrée plusieurs fois en Corse.
Dominique Fernandez, spécialiste de l'Italie, analyse la position secondaire de Joseph dans la Madone au sac d'Andrea del Sarto, qui figure le repos pendant la fuite en Egypte (Florence, église de la Santissima Annunziata).
"Joseph appuyé sur un gros sac de jute, lit dans un livre pendant que la Madone accroupie veille sur son enfant. Le peintre a merveilleusement indiqué ce qui distingue la sainteté moyenne de la sainteté transcendante de Marie :
Joseph est étendu à l'écart dans une attitude nonchalante, relâchée, il se laisse aller au bonheur de la halte, tandis que Marie serre le nouveau-né sur ses genoux et forme avec lui une pyramide dont la compacité traduit la haute conscience qu'elle a de sa mission (...)"
(La Société du Mystère, p. 467, éd. Grasset 2017).
Arrivent alors la Contre-Réforme et le Concile de Trente qui favorisent de nouvelles dévotions comme celle de Joseph au prétexte qu'il est le nutritor Domini, l'être humain qui a été le plus proche de Jésus, l'a serré dans ses bras, l'a éduqué.
Entre temps, il devient le patron des charpentiers et menuisiers, on lui édifie des sanctuaires à Rome d'abord en 1540 (San Giuseppe dei Falegnami) et partout ailleurs.
Mais c'est grâce aux ordres monastiques que son culte se développe de façon extraordinaire :
En 1414-1417, il y eut d'abord un long poème de 2938 vers - la Josephina - composé par Jean de Gerson, théologien chancelier de l'Université de Paris qui voulait populariser largement le culte de Joseph.
En 1522, le Dominicain Isolanus publie à Pavie La Somme des Dons de Joseph provoquant un engouement extraordinaire pour Joseph.
Sainte Thérèse d'Avila le nommait "père de son âme", les Jésuites, St François de Sales qui fait de Joseph le patron de l'ordre de la Visitation en 1610 ;
les Servites de Marie qui furent les premiers à le fêter solennellement en 1324.
Pourquoi ? parce que Joseph illustre trois règles d'observance des ordres : pauvreté, chasteté, obéissance.
En 1621, le pape Grégoire XV fixe sa fête au 19 mars.
En 1870, le pape Pie IX le proclame patron de l'Eglise catholique.
Voir notre pages sur Les Couvents des Servites de Marie.
Le culte de Joseph grandissant, on a voulu rajeunir son image si bien que son iconographie hésite entre le vieillard qu'il était et l'homme robuste, dans sa maturité, plus flatteur.
On le reconnaît à son bâton fleuri, remplacé aussi par la branche de lis, symbole de chasteté.
Ses outils de charpentier figurent sur les tableaux ou dans les cartouches des autels qui lui sont dédiés car dès le XVIIe s. des confréries de métiers se sont constituées sous son vocable.
En Corse il est présent dans presque toutes les églises. On a dénombré pour l'instant plus de 250 statues - sulpiciennes pour la plupart ! - mais aussi des tableaux, fresques, verrières, gravures, chromos, ex voto qui le représentent et l'invoquent.
Joseph comme père nourricier
Joseph est surtout le symbole du père, de celui qui prend soin de sa famille, qui protège, aime et éduque son enfant.
Ce rôle de Joseph dans l'enfance et l'éducation de Jésus est bien illustré dans les scènes de la Sainte famille à l'atelier.
Scènes touchantes et familières où l'on voit Marie qui coud, l'enfant Jésus qui balaie ou qui mesure des planches, parfois en compagnie du petit Jean-Baptiste.
A l'arrière du tableau attribué à Pietr'Anto' Rossi, on distingue une vue de Rogliano (M.-E. Nigaglioni). La présence d'un ange en souligne le caractère sacré.
Parfois seul, il est représenté le plus souvent avec l'Enfant Jésus, bébé ou jeune garçon dans des attitudes qui suggèrent affection, soin et tendresse.
Esquisse d'une typologie :
- Joseph homme mûr, chevelu et barbu, parfois chauve ou couronné
- Joseph porte l'Enfant Jésus dans ses bras : l'enfant dort ou lui caresse le visage, ou le désigne du doigt à l'attention des fidèles.
- Joseph avec l'enfant Jésus portant le globe, ou la croix ou une colombe, étendant les bras en un geste d'accueil des fidèles.
- Jésus en jeune garçon
Joseph figure aussi sur un grand nombre de tableaux, aux côtés, en arrière ou aux pieds de la Vierge Marie, en compagnie d'autres saints, pour intercéder en faveur des Ames du Purgatoire, ou pour glorifier l'Immaculée Conception ou l'Assomption de Marie.
Comme à Bastia dans la cathédrale Sainte-Marie les Ames du Purgatoire de Badaracco.
Parfois on le voit au pied de la croix même si sa légende veut qu'il soit déjà mort au moment de la Crucifixion, sinon Jésus n'aurait pas confié sa mère à saint Jean.
Plus rarement, il est au centre de la représentation comme dans ce tableau de l'Eglise conventuelle de Saint-Dominique à Bonifacio.
Il apparaît, avec l'enfant Jésus, à Sainte Ursule, couronnée et brandissant la bannière de Gênes, et à ses compagnes, Sainte Apolline et ses tenailles, Sainte Agathe qui porte ses seins sur un plateau et Sainte Lucie.