Dès le Moyen Age saint Jean-Baptiste le Précurseur du Christ a été honoré dans toute la Corse (voir St Jean-Baptiste 1) à l'égal de Saint Michel car il est à la fois le dernier prophète de l'Ancien Testament et le premier martyr du Nouveau Testament.
Aujourd'hui encore rares sont les églises qui ne possèdent pas un tableau, un décor peint, une statue ou une pièce d'orfèvrerie qui rappellent le rôle du saint dans l'histoire de l'Eglise et les épisodes majeurs de sa légende.
LA NAISSANCE DE SAINT JEAN-BAPTISTE
C'est Luc (1, 5-25) qui raconte les circonstances de la naissance de Jean le Baptiste. En Judée, sous le règne d'Hérode vivaient sans descendance un vieux prêtre sacrificateur et sa femme Elisabeth.
Un jour l'archange Gabriel annonce à Zacharie qu'il sera bientôt père d'un enfant qui "marchera devant Dieu avec l'esprit et la puissance d'Elie pour ramener le coeur des pères vers leurs enfants et les rebelles à la sagesse des justes, afin de préparer pour le Seigneur un peuple bien disposé".
On pense évidemment à l'annonce faite à Marie.
Zacharie est incrédule. Père à son âge ! Piqué, Gabriel le condamne au mutisme jusqu'à la naissance de l'enfant !
Elisabeth est la cousine de la Vierge Marie ; les deux femmes se rencontrent alors qu'elles sont enceintes : c'est la scène de la Visitation (lien).
San Giuliano (détails)
La représentation de la Nativité de Saint-Jean ressemble beaucoup à celle de la Vierge (lien). Le doute est possible car l'iconographie est quasi identique.
Parfois, on peut voir Zacharie dans un coin de l'image, pensif, ou écrivant sur une tablette le nom de l'enfant. La légende rapporte que dès qu'il l'eut écrit, il recouvra la parole.
A partir des détails succincts fournis par les évangiles canoniques, la légende comme toujours a fait son office pour construire la vie les oeuvres et la Passion du saint, fournissant de multiples sujets aux artistes.
L'ENFANCE
Jean-Baptiste étant le cousin de Jésus, il est présent à ses côtés dans les scènes de Sainte Famille ou de Sainte Parenté.
Il veille sur son sommeil, lui offre un fruit, lui montre un oiseau, joue avec lui ... dans des scènes familières et riches en symboles de la Passion (fruits rouges, chardonneret etc.).
Jean-Baptiste enfant est aussi représenté seul et déjà porteur de ses attributs de prédicateur annonciateur du Messie : la peau de bête et la croix de roseau ornée d'un phylactère (Ecce Agnus Dei) ; il est accompagné bien sûr de l'agneau, symbole du Christ.
SAINT JEAN BAPTISTE AU DESERT
Très jeune, et guidé par un ange, comme Tobie, il se retire au désert (ou dans les forêts), vêtu d'une peau de bête - chameau ou brebis - : la melote - peau de brebis en grec - qui est le vêtement en usage chez les anachorètes et autres ermites.
Jean-Baptiste vit de sauterelles et de miel (locustae et melle sylvestre) Pour l'anecdote, Louis Réau (op.cit.) précise que l'ermite véritable étant végétarien, il s'agirait non de sauterelles, mais de caroubes.
Vox clamantis in deserto, il prêche la pénitence au peuple en annonçant la venue du Messie (d'ailleurs on le prend pour lui).
"La chaire de l'église Saint Jean-Baptiste est particulièrement remarquable
L'oeuvre est en marbre blanc incrusté de marbres polychromes italiens ...
La chaire a été commandée à Gênes dès 1779 au sculpteur réputé Gaetano Torre. Celui-ci y travailla avec son fils Gian Andrea Torre.
L'oeuvre ne fut achevée qu'en 1781 ... La cuve est ornée d'un délicat bas-relief figurant Saint Jean-Baptiste prêchant dans le désert. Le culot porte les symboles des quatre évangélistes ..."
(M.E. Nigaglioni, La peinture à Bastia, op.cit.)
LE BAPTEME DU CHRIST
Comme son nom l'indique, le Baptiste baptise. Les païens - les néophytes - viennent à lui en nombre et reçoivent le sacrement en s'immergeant dans les eaux du Jourdain.
Jusqu'au jour où arrive Jésus qui demande à être baptisé et que Jean salue comme "l'agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde" (agnus Dei qui tollis peccata mundi).
Episode qui méritera une page spéciale tant par la place majeure qu'il occupe dans l'histoire de l'Eglise que parce que toutes les églises comportent un baptistère. En voici quelques uns.
(se reporter au chapitre consacré à ce thème)
LA DECOLLATION DE SAINT JEAN BAPTISTE
Les prédications de Jean-Baptiste rameutent tant de monde que le tétrarque Hérode Antipas gouverneur de Galilée s'en inquiète et fait arrêter le Précurseur en l'an 29.
Mais c'est surtout parce que Jean Baptiste avait reproché en public à Hérode d'avoir épousé sa nièce et belle-soeur Hérodiade, femme de son frère Philippe.
Jalousie, vengeance, le drame couve...
Hérodiade est furieuse et humiliée. Lors d'un banquet pour l'anniversaire du tétrarque, Salomé, poussée par sa mère Hérodiade, charme Hérode en dansant - la légendaire danse des 7 voiles -. Pure légende car seules les courtisanes pouvaient ainsi se produire.
Hérode, séduit et concupiscent, promet d'accorder à Salomé tout ce qu'elle désire fût-ce la moitié de son royaume ; sa mère lui souffle de demander la tête de Jean-Baptiste. Hérode donne son accord.
Et c'est ainsi que le martyre du saint (signalé dans les évangiles de Marc et de Mathieu) a inspiré aux plus grands artistes des scènes romanesques, tragiques et cruellement belles.
En Corse c'est la représentation réaliste de la scène qui domine.
Soit l'artiste figure la scène avant l'exécution, soit après, quand le bourreau brandit la tête du saint ou que Salomé l'apporte à sa mère sur un plateau.
Peu de figurations du banquet sinon dans des vignettes ajoutées au sujet principal.
L'approche la plus dramatique est celle qui montre la scène après la décollation : la tête de Jean-Baptiste sur un plat ou plateau tenu par Salomé ou brandie par le bourreau qui la saisit par les cheveux.
Cette mise en scène s'inspire des paroles d'Hérodiade : Je veux que tout de suite tu m'apportes la tête de Jean le Baptiste (Marc, 6, 25) (d'où l'expression populaire : apporter sa tête sur un plateau)
Ce tableau anonyme résume toute l'histoire.
Au premier plan, la Remise du chef : Salomé parée comme une princesse reçoit la tête du saint des mains du bourreau, représenté en Maure musculeux. Du sang dégoutte de partout : de l'épée, de la tête, et du corps convulsé à terre.
Dans les vignettes d'arrière plan on voit Hérode et Hérodiade attablés et Salomé leur apportant la tête du saint ; plus bas, Jean-Baptiste enchaîné dans sa prison.
Ci-dessous, une oeuvre de même inspiration à Sorbo en Casinca.
L'église de La Porta dédiée à Saint Jean-Baptiste possède un autre tableau de la décollation situé derrière le maître-autel.
Cette toile de belle composition offre une variante (moins ensanglantée) : le bourreau athlétique dépose le chef du saint sur un plat porté par un jeune page vêtu comme au 18e s.
Au premier plan, artistement disposés : le corps décapité, les mains liées encore visibles, l'épée du martyre, le bâton, la melote de poils et le manteau pourpre (pallium), attributs de Jean-Baptiste.
A gauche, Salomé, élégamment vêtue, pousse la grille du cachot pour prendre livraison du macabre trophée.
Voici les oeuvres de 4 peintres actifs en Corse qui ont choisi cette vision de la décollation.
Salomé, femme fatale ou manipulée ?
Richement vêtue et si belle qu'elle trouble Hérode, Salomé, dans nombre d'oeuvres, détourne le regard de la tête tranchée de Jean-Baptiste.
Le bourreau
Pour l'iconographie du maure on se reportera à ME Nigaglioni, Image du Maure dans la peinture corse du XVIIIè.
Sur l'image du bourreau figuré en Maure, voir l'étude de M.-E. Nigaglioni, Image du Maure dans la peinture corse du XVIIIè.
Le corps sans tête au sol, qui dégoutte de sang. Les artistes ne reculent pas devant le réalisme sanglant de la scène pour en montrer l'horreur.
Autre support : la superbe porte de l'église baroque de Piazzole d'Orezza datée de 1774.
Par souci d'inventaire...
Autres décapitations dans l'Histoire sainte
Ce martyre est plutôt répandu comme dans ce tableau dont on ne parvient pas à définir le sujet :
Judith et Holopherne
L'Ancien Testament raconte l'histoire de la ville de Béthulie, ville juive de Judée (Massalah ?) assiégée par Holopherne, général assyrien aux ordres de Nabuchodonosor (vers 600 av.JC).
Déterminée à sauver sa ville, la belle Judith, jeune et riche veuve, s'introduit nuitamment avec sa servante dans le camp d'Holopherne qui, séduit par la grande beauté de la jeune femme, se laisse approcher.
Alors, Judith lui tranche la gorge avec une épée et rapporte la tête à Béthulie, sauvant ainsi la ville.
Les plus grands artistes de Raphaël et Donatello à Caravage et Artemisia ont été inspirés par cette histoire romanesque.
En Corse, on a quelques copies de la scène :
Zevaco possède aussi un tableau dans l'église Santa Maria mais nous ne l'avons pas vu.
On ne peut pas confondre les deux scènes de décollation : Judith tient une épée et la tête d'Holopherne à bout de bras, et elle est en général accompagnée d'une servante âgée.
Mais ce n'est pas toujours évident comme pour ce médaillon de A.F. Alberti (1880), partie de la peinture monumentale dans l'église de Saint Michel de Venaco.
David et Goliath : après avoir abattu le Géant avec sa fronde, David lui trancha la tête.
D'autres saints ont été décapités, comme Saint Denis ; ils sont dits céphalophores quand ils tiennent leur tête dans leurs mains. Cette imagerie spectaculaire a fait florès un peu partout : on ne compte pas moins d'une soixantaine de saints dans ce cas !
Saint Paul, décapité à Rome est figuré avec l'épée de son supplice. Beaucoup d'églises corses possèdent son effigie.
Autres décollations de Saint Jean Baptiste :
Le culte
Dernier prophète et précurseur du Christ, premier dans la hiérarchie des saints, major homine, par angelis (Pierre Chrysostome), Jean le Baptiste a suscité un culte immense.
Mis à part la Vierge et le Christ, il est le seul à avoir deux fêtes dans le calendrier liturgique : sa Nativité le 24 juin et sa décollation le 29 août.
Le monde chrétien s'est âprement disputé ses reliques. De fait, il y en a vraiment beaucoup...
Difficile de compter le nombre d'édifices qui lui sont consacrés et de corporations dont il est le protecteur, les rues, les places, les promenades...
Le sacré et le profane
Aujourd'hui encore, on allume les feux de la Saint-Jean d'été pour célébrer le saint et le solstice d'été (on connaît l'origine païenne très ancienne de cette fête) et on cueille à l'aurore les herbes de la Saint-Jean selon un rite très ancien (achillée, joubarbe, marguerite, sauge, armoise etc.)
En Corse on célèbre la San Ghjuvà un peu partout, dans un heureux mélange du sacré et du profane : u fucarè, le feu, ses danses et ses serments, cueillette d'immortelles et d'asphodèles pour la confection de couronnes porte bonheur, messes, processions, bénédiction des feux, jeux, bals populaires...
A Porto-Vecchio, les festivités durent la semaine !
On retrouvera ces rites et traditions et bien d'autres dans l'incomparable Tempi fà tome 2 de Pierre-Jean Luccioni et Ghjasippina Giannesini (Albiana, 2013)