LES COUVENTS DES SERVITES DE MARIE 1
Parmi les nombreux couvents qui se sont installés en Corse (Franciscains, Capucins, Dominicains, Jésuites etc.) les couvents des Servites de Marie, ordre mendiant reconnu par la Papauté, sont particulièrement liés à Saint Augustin, dont ils suivent la Règle et portent l'habit.
Voir Saint Augustin p.1.
Ils sont voués à la Vierge Marie et singulièrement à la Madone des Sept Douleurs ("l'Addolorata"). En Corse, la dévotion apparaît à partir du 5 août 1640. L'Addolorata devient officiellement la patronne de l'Ordre en 1692. Elle est fêtée le troisième dimanche de septembre.
Il y a eu six couvents de ces Serviteurs de Marie en Corse ; nous les connaissons par leurs vestiges et certains de leurs biens qui sont abrités dans d'autres églises (autels, stalles, tableaux, statues etc.).
Et surtout par l'ouvrage publié sous la direction de Jean-Christophe Liccia, (éditions Alain Piazzola, 2000), qui constitue une histoire définitive de cet ordre religieux en Corse.
Les couvents ou ce qu'il en reste se trouvent à :
Morsiglia, Barretali (Conchiglio), Sisco (Santa Catalina) dans le Cap Corse ; Belgodère en Balagne ; Casabianca en Castagniccia et Bastia (Saint-Joseph).
Voici un résumé de l'histoire de cet ordre :
"Au début du XIIIème siècle, existait à Florence une confrérie dite des "Laudesi" ("les Louangeurs")de la bienheureuse Vierge Marie dont le but principal était de chanter les louanges de la Mère de Dieu.
Sept marchands florentins*, issus des meilleures familles de Toscane et membres de cette confrérie, décidèrent le 15 Août 1233, jour de l'Assomption de Marie, de renoncer au monde et de vouer leur vie à Dieu et à sa Sainte Mère.
Ils commencèrent par vendre leurs biens ou les distribuer aux pauvres puis le 3 Septembre de cette même année, mirent à exécution le projet qu'ils avaient conçu de vivre en communauté.
En 1234, alors que deux d'entre eux parcouraient les rues de Florence en demandant la charité, des enfants encore au sein de leurs mères (dont paraît-il Filippo Benizzi âgé de 4 mois), se mirent à s'écrier en les montrant du doigt :
"Voilà les Serviteurs de la Vierge, faites l'aumône aux Serviteurs de la Vierge !". Les Serviteurs ou Servites de Marie étaient nés.
Ils construisirent leur première église et des cellules en bois sur le Mont Senario près de la ville.
En 1239, le jour du Vendredi Saint, la Vierge se manifesta à eux et leur ordonna de porter un habit noir en mémoire de la Passion de son Fils (et de son propre deuil), et de suivre la règle de Saint Augustin.
Comme on le voit sur la toile de Belgodère ci-dessous, elle était entourée d'anges qui portaient les instruments de la Passion du Christ (la croix la couronne d'épines et le clou de la Crucifixion), la Règle de Saint Augustin (Regola Sancti Augustini lit-on sur le livre à droite) et un grand scapulaire noir.
La Vierge revêt chaque Servite de ce scapulaire que lui présente l'angelot à ses côtés. On la voit tendre la main pour s'en saisir.
Enfin, observons une "stemma" un blason à droite de Marie qui est le monogramme des Servites.
*Bonfiglio Monaldi, Buonagiunta Manetti, Manetto de l’Antella, Amideo dei Amidei, Uguccione dei Uguccioni, Sostegno dei Sostegni, Alexis Falconieri
En 1255, le Pape Alexandre IV donna l'approbation définitive de l'Ordre, confirmée par Benoit XI en 1304." (Jean-Christophe Liccia)
A la Révolution les moines furent chassés et leurs biens confisqués sur ordre du conventionnel Saliceti, un opposant de Pascal Paoli.
Entretemps le couvent subit vicissitudes et heures de prospérité.
Certaines oeuvres et pièces de mobilier furent récupérées et sont abritées dans d'autres édifices.
Filippo Benizzi refusa la charge de cardinal puis celle de pape à la mort du pape Clément IV. Dans le tableau ci-dessus, les angelots portent la tiare qu'il a refusée et le lis, son attribut.
C'est au couvent des Servites de Todi en Ombrie qu'il meurt le 22 août 1285.
Canonisé en 1671 par Clément X. Son seul livre était son crucifix.
Révéré en son temps, on lui prête de nombreux miracles.
Quant à Pellegrino (Peregrin en français) il a été lui aussi canonisé au XVIIIè s. et fêté, encore aujourd'hui dans sa ville de Forli en Italie).
Entourant la Vierge des Sept Douleurs, ils figurent tous deux dans un cartouche du couvent de Morsiglia.
Filippo Benizzi (1233-1285) qui rejoignit l'Ordre à 22 ans, devint le général des Servites et contribua grandement à la diffusion de l'Ordre.
"Issu d'une famille noble de Florence, fils de Giacomo Benizzi, apothicaire et d'Albaverde Frescobaldi, Philippe naquit dans le quartier d'Oltrarno, le 15 Août 1233.
Il suivit des études de philosophie et de médecine à Paris et à Padoue, d'où il sortit lauréat en 1253."
Lors de la guerre entre les Guelfes et les Gibelins qui opposait les partisans du pape et ceux de l'empereur du Saint Empire Romain germanique, il fut chargé par le pape Innocent V d'aller prêcher la paix.
C'est alors qu'il rencontra Pellegrino Laziosi (pourtant un Gibelin pro-empereur et qui commença par lui flanquer une gifle) qu'il convainquit de rejoindre l'Ordre des Servites.
Une curiosité : La famille Pucci, puissante famille florentine du temps des Médicis, qui a financé le porche de l'église en 1601, a pour emblème une tête de Maure ! D'après le nom d'origine de la famille : Sarracini.
Ce blason figure d'ailleurs sur la façade de la Santissima Annunziata et sur son pavement.
LE COUVENT DE MORSIGLIA (CAP CORSE)
Le plus ancien des couvents des Servites en Corse : construit en 1479 au lieu-dit Capino, sur les deux communes Morsiglia et Centuri.
Son histoire est si riche qu'on ne peut que renvoyer aux ouvrages et chercheurs qui ont travaillé sur le couvent et les archives.
Quelques étapes :
1479 fondé par les habitants de Morsiglia et Centuri qui y installent les Servites de Marie.
1557 Le Père Cristofaro de Meria devient Vicaire Général de l'Ordre.
"Une de ses actions remarquables fut la création du "Libro rosso" actuellement conservé aux Archives Départementales de la Haute Corse (l'exemplaire conservé est une copie du XVIIème siècle) qui nous décrit au quotidien la vie de ce couvent, partagée entre agriculture, prière et spiritualité".
1560 : pillage et incendie par les barbaresques commandés par Mammi Corso "célèbre renégat corse de Pino", le village voisin.
Reconstruction et riches ornements offerts par la population qui rivalise de générosité. La liste retrouvée par l'équipe de Jean-Christophe est impressionnante.
1600 : construction de l'église sur une ancienne église issue d'une chapelle. Le couvent est alors l'un des plus riches de Corse. Un inventaire de 1610 fournit de précieuses informations sur l'église (Les Servites de Marie en Corse op. cit. ch. VIII).
1736 : le stucateur Tomaso Mencacci décore le couvent.
1749 : agrandissement.
1766 : tous les moines sont Corses.
1792 : expulsion des Servites (Révolution)
1873-1903 : le couvent est loué à une communauté de Capucins.
1903 : départ définitif des moines.
1914-1918 : camp d'internés civils allemands.
Années 1990 : restauration et inscription aux M.H.
L'église est désacralisée.
Le couvent a été aménagé pour accueillir des événements, cérémonies, séminaires, expositions etc.
Abandonnons à regret ce bref résumé de trois siècles d'existence faite de grandeur et de vicissitudes en engageant à la lecture du livre cité plus haut, passionnant de bout en bout.
L'église paroissiale Saint-Cyprien de Morsiglia conserve la chaire à prêcher du couvent.
Giovanni Pellegrini (actif de 1651 à 1699 ébéniste de talent réalisa aussi le superbe retable du maître-autel du couvent de Belgodère actuellement dans la chapelle San Giovanni Evangéliste (voir infra).
Il sculpte des motifs exubérants et expressifs : on peut voir dans les visages qui ornent la cuve de la chaire les deux grands dangers pour le chrétien : les femmes (boucles, collier et seins décolletés !) et les pirates barbaresques (noirs et vilains).
M.-E. Nigaglioni a écrit dans la revue A Cronica n°8 un article consacré à cet artiste méconnu.
"En effet la tribune est surmontée d'un abat-voix qui porte l'inscription "Giovanni Pelegrini opus fecit 1696". Ce magnifique et inventif témoin de la Corse d'autrefois, nous parle de la richesse des Caps Corsins d'il y a trois siècles, de leur foi profonde, de l'habileté de leurs artisans et même de la principale cause de souci ... le péril barbaresque !
Car sur la base du culot qui soutient le plancher de la tribune figurent quatre bustes de personnages : deux femmes européennes au décolleté ... généreux ! Et deux autres barbus au faciès inquiétant ! Faut-il y voir un symbole ? Celui de la religion foulant au pied les plaisirs charnels et les infidèles ?
Quoi qu'il en soit ces symboles ne sont qu'une infime partie d'un décor de bois sculpté polychrome exubérant et prolifique ; partout ce ne sont que mascarons, fleurons, godrons, volutes, rinceaux, colonnettes, niches, frontons, toupies, frises de feuilles, de perles, de denticules etc ... Et il n'y a pas un centimètre de bois qui n'ait été sculpté et qui n'ait reçu une application de couleur !"
LE COUVENT DE BARRETTALI (CAP CORSE)
Dans le hameau de Conchiglio, un petit couvent de Servites est érigé en 1590. Il possède à cette époque une petite église car l' existence d'un lieu de culte était la condition pour que les Servites s'installent.
Ils l'occupèrent jusqu'en 1790 à la Révolution.
Le thème de la Vierge de douleur se décline ailleurs dans l'église
LE COUVENT SANTA CATALINA DE SISCO
A l'origine, une petite chapelle, dédiée vraisemblablement à saint Nicolas, était édifiée à cet endroit. En 1255 une caisse remplie de reliques provenant de Terre Sainte y fut déposée des marins pris dans la tempête qui avaient fait le voeu de les laisser en don à la première église où ils accosteraient.
Elles y resteront jusqu'en 1443, date à laquelle débutent les travaux de construction d'un nouveau sanctuaire, jouxtant la chapelle originelle devenue sans doute trop petite vu l'affluence des pèlerins. L'glise fut consaccrée en 1469.
"Sous le choeur fut aménagée une chapelle souterraine, disposée en demi-cercle, dont l'accès se faisait par des escaliers partant d'ouvertures pratiquées dans le dallage.
Au XVIe siècle est construite une tour servant d'habitation aux prêtres qui desservaient l'église et veillaient sur les reliques.
Dans cette tour furent également logés les gardes qui garantissaient la chapelle contre les incursions mauresques." (Augustin Chiodetti)
Par la suite, pour plus de sécurité, les reliques qui étaient conservées à Sainte Catherine sont transférées dans l'église paroissiale Saint-Martin, située à l'intérieur des terres et moins exposée aux incursions barbaresques. A la fin du XVIe siècle, l'église est confiée aux Augustins qui occupent les lieux jusqu'en 1674.
Après une brève installation des Servites de Marie (de 1674 à 1677), les Augustins reprennent possession du couvent en 1677, pour le quitter définitivement en 1702.
A partir de cette date, les Servites réintègrent le couvent, jusqu'à leur expulsion, en 1792, peu après la Révolution.
La chapelle originelle de Saint Nicolas, en grande partie ruinée, a été restaurée dans les années 1950. Les anciens bâtiments conventuels, aujourd'hui propriété privée, ont été convertis en maison. L'ancienne église conventuelle est propriété de la commune. (notice MH)
LE DEVENIR DE SANTA CATALINA
"Futur propriétaire du domaine Santa Catalina, la mairie de Sisco a lancé un appel aux financements afin d’y concrétiser un projet de restauration et de mise en valeur. Un chantier important, au regard de l'histoire conséquente du complexe.
Au fil des années, de nombreuses personnes ont tenté, en vain, d'acquérir le domaine de Santa Catalina, véritable bijou du Cap Corse.
D’ici le 30 janvier 2024, il reviendra finalement à la commune de Sisco,
qui a signé une promesse d’achat ... Un appel à la mobilisation a été lancé ... L’objectif : diffuser le projet et inciter tous les acteurs possibles (collectivité, Europe, mécènes…) à participer à la mise en lumière d’un édifice majeur de l’histoire insulaire.
En plus de l’église, dont elle est déjà propriétaire, la mairie va ainsi s’offrir le reste du domaine, comprenant les parties couvent, tour, ainsi que 10 hectares de terrain. Un
complexe chargé d’histoire, que certaines traces écrites font remonter au 4e siècle ...
« C’est un endroit chargé d’histoire », pointe Sylvia Ghipponi, architecte, chargée d’accompagner le bon déroulement du projet.
« C’est un des lieux importants de la Corse, et tout le monde n’a pas forcément conscience de ça. Il faut savoir que le domaine a été un lieu de pèlerinage important à l’échelle du bassin méditerranéen. Les gens venaient pour les reliques, qui sont là depuis 1255. » «
Reste à trouver une organisation et un montage financier afin de permettre au domaine Santa Catalina
de « retrouver son lustre d’antan ». « C’est un appel aux Siscais, aux Cap-corsins, aux Corses et aux non Corses, institutions, collectivités, mécénat, loto du
patrimoine" proclame le maire Ange-Pierre Vivoni.
Pour le moment, le devenir précis du complexe n’a pas été déterminé. Mais avec 900m2 de bâti, les possibilités sont vastes. Un musée, le siège du parc naturel marin …
Thibaud Kerebel, 27 mars 2023 in Corse Matin
Voir notre page sur les "bacini" de céramique en Corse.
LE COUVENT DE BELGODERE (BALAGNE)
Le couvent Santa Maria delle Grazie fut repris aux Capucins en 1560
De belles ruines...mais des ruines !
Les Servites de Marie ont succédé en 1560 à une communauté de Capucins établie dans ce même couvent de 1540 à 1554.
Extrait Michel-Edouard Nigaglioni
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Du temps du couvent, l'autel abritait une magnifique statue en bois de ND des Sept Douleurs, qui se trouve maintenant dans l'église paroissiale Saint-Thomas. L'auteur en est un certain Agostino de Negri originaire de Camogli en Italie.
Dans l'église Saint-Thomas de Belgodère, deux autels, l'orgue et des tableaux proviennent du couvent des Servites et de l'église Notre-Dame des Grâces édifiée au XVIè s.
Cet autel était le premier autel de l'église Notre Dame des Grâces du couvent avant d'être remplacé par celui de Giovanni Pellegrini qui a déménagé dans la chapelle San Giovanni Evangelista.
Au centre figure Saint Etienne avec la palme de son martyre et la pierre de sa lapidation à ses pieds.
Voir nos pages sur Saint Etienne et Saint Joseph
Richement décoré de grotesques, d'animaux fantastiques et de motifs de marqueterie, le fronton soutenu par deux colonnes corinthiennes s'orne de frises et dans sa partie interrompue se dresse l'emblème des Servites de Marie entouré de roses figurant les 7 membres fondateurs de l'Ordre.
Voir notre page sur Saint Thomas
LE COUVENT SAINT-ANTOINE DE CASABIANCA
Voir la page sur Saint Antoine abbé
Le couvent est fondé en 1420 par les Servites de Marie sur le territoire de la paroisse de Casabianca dans la pieve d'Ampugnani en Haute-Corse. Il connaît la tenue de nombreuses « consultes » ou réunions des insurgés corses à partir du 18è siècle.
Aujourd'hui en ruines, il ne reste de l'édifice que l'ossature principale accompagnée de son clocher, illustrée de fresques et de décorations encore nettement visibles.
Le couvent est resté célèbre pour avoir accueilli le 15 une Cunsulta au cours de laquelle Pasquale Paoli fut proclamé Generale di u Regnu di Corsica, général du royaume de Corse.
Cette date marque le début de son règne ainsi que le début de l'indépendance de l'île, alors sous domination de la République de Gênes.
Une plaque commémorative rappelle ces événements.
Le couvent fut incendié et détruit sur ordre du conventionnel Saliceti, farouchement opposé à Pascal Paoli en l'an VIII de la République (1799/1800).
Il était constitué d'une église qui contenait quatre chapelles, et de dépendances. Aujourd'hui, seuls subsistent l'arc doubleau, entre la nef et le chœur, ainsi que les murs périphériques.
Le clocher à quatre niveaux, inscrit aux monuments historiques ainsi que les ruines du couvent, domine l'ensemble.
Comme souvent en Corse, ce couvent a servi et sert encore de cimetière, et on peut voir, encore aujourd'hui, des tombes régulièrement fleuries. (Wikipédia)
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