LA CHARITE : la jeune femme, le saint et le pélican.                      Mise à jour décembre 2020, février 2022 & août 2023

  

Saint Martin comme nous l'avons vu dans la page qui lui est consacrée (cf nos pages sur Saint Martin), illustre, par son acte charitable exemplaire, une des trois vertus théologales avec la Foi et l’Espérance : la Charité. 

 

Saint Paul en parle dans sa première Epitre aux Corinthiens   (I,13) comme la chose la plus importante pour le chrétien.

"Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit.

 

Quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien"...

 

Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité ; mais la plus grande c’est la charité.

 

"fides, spes, caritas, tria haec ; major autem horum est caritas"

 

Brando - peinture monumentale
Brando - peinture monumentale
Santa Maria Poggio - Peinture monumentale de Luigi Polleri 1838
Santa Maria Poggio - Peinture monumentale de Luigi Polleri 1838

 

Mais comment représenter une vertu pour l’édification des fidèles ?

Par des attributs ou des allégories.

 

Des couleurs et des attributs sont associés aux vertus : rouge comme l’amour pour la Charité, blanc pour la Foi et vert comme l’Espérance ; le cœur enflammé pour la Charité, l’ancre pour l’Espérance et la croix pour la Foi.

 

Costa (Balagne) - Peinture monumentale de Francesco Giavarini peintre corse né en 1781
Costa (Balagne) - Peinture monumentale de Francesco Giavarini peintre corse né en 1781

 

La jeune femme 

 

La Charité prend aussi conventionnellement les traits d’une femme accueillant ou allaitant des enfants,  et/ou entourée d’un ou de plusieurs vieillards.

 

En Corse nous avons trouvé des toiles qui illustrent ce thème.

A Afa, bourg près d'Ajaccio, d’après l’œuvre de Bartolomeo Schedoni, peintre italien du XVIIe s.

 

Afa - La charité d'après Bartolomeo Schedoni
Afa - La charité d'après Bartolomeo Schedoni
Naples - La charité (B. Schedoni 1611)
Naples - La charité (B. Schedoni 1611)

 

A Zicavo, l'empereur Napoléon III donna à l'église une Charité de Lucile Doux (1854), copie d'un tableau d’Andrea del Sarto, peintre italien du XVIe s. et conservé au Louvre.

 


Muro - Confrérie Santa Croce
Muro - Confrérie Santa Croce
Belgodère - Eglise Saint-Thomas
Belgodère - Eglise Saint-Thomas

Pioggiola - Luigi Brunetti 1843
Pioggiola - Luigi Brunetti 1843

 

La Charité romaine

A la Renaissance les artistes représentent souvent la Charité sous les traits d’une jeune femme allaitant un vieillard, par contamination avec l’histoire de la Charité romaine.

 

Greuze - 1767 - Getty museum
Greuze - 1767 - Getty museum
Rubens - 1617 - Charité romaine - Ermitage
Rubens - 1617 - Charité romaine - Ermitage

 

De quoi s’agit-il ? L’historien romain Valère Maxime, dans ses Faits et dits mémorables (livre V, chap. 4 De la piété filiale, vers 32 ap. J.C. (repris par Pline l'Ancien dans ses Histoires naturelles (vers 77 ap. J.C.) raconte cet exemplum (en rhétorique c’est un court récit qui vise à servir d’exemple moral à suivre) :

La jeune Pero, modèle de piété filiale, nourrit secrètement son père Cimon condamné à mourir de faim en prison, en l’allaitant.

Quand l’affaire est découverte, les juges décident de libérer le prisonnier. «Les yeux s'arrêtent et demeurent immobiles de ravissement à la vue de cette action représentée dans un tableau » commente l’auteur…

Au XVIè s. on a pu donner à cette scène un caractère érotique voire licencieux.

Mais après L'oeuvre de Caravage qui utilise la scène dans un contexte chrétien, on s'en est servi pour en faire l'image de la Charité.

Le caractère transgressif et contre nature de la scène est dépassé par l'amour, le dévouement et la piété filiale qu'elle témoigne.

 

Le Caravage - 1607 - Les 7 oeuvres de Miséricorde - Pio Monte della Misericordia - Naples
Le Caravage - 1607 - Les 7 oeuvres de Miséricorde - Pio Monte della Misericordia - Naples
Le Caravage - détail
Le Caravage - détail

 

Les Sept Oeuvres de Miséricorde

 

Dans l'Evangile de Mathieu (25,31-46), Jésus fait une parabole à ses disciples dans laquelle il énumère les sept oeuvres de miséricorde corporelles (il y en a 7 autres spirituelles) que doit accomplir le chrétien au nom de l'amour de son prochain et pour gagner son paradis :

 

 

  1. donner à manger aux affamés ; comme la jeune Pero. 
  2. donner à boire à ceux qui ont soif ; 
  3. vêtir ceux qui sont nus ; comme saint Martin.
  4. aider les sans abri ;
  5. assister les malades ;
  6. visiter les prisonniers ;
  7. ensevelir les morts.

 

C'est Saint François d'Assise qui contribua à la propagation de la Miséricorde et grâce à qui se développèrent Maisons de charité, hôpitaux etc. pour accueillir les malheureux.

 

Voici ce que nous avons trouvé sur ce thème à Murato : 

 

 

Murato - Eglise de la Nunziata et ancien couvent des Récollets (aujourd'hui propriété privée)
Murato - Eglise de la Nunziata et ancien couvent des Récollets (aujourd'hui propriété privée)
Murato (Nebbiu) - tribune de l'orgue disparu sous la Révolution du couvent des Récollets (Franciscains) XVIè s. voisin de l'église paroissiale.
Murato (Nebbiu) - tribune de l'orgue disparu sous la Révolution du couvent des Récollets (Franciscains) XVIè s. voisin de l'église paroissiale.

 

On y voit des dames de la bonne société accomplir des oeuvres de charité.

 

 

Une belle dame élégante apporte dans son tablier du pain pour les indigents et les estropiés sur fond de paysage bucolique.

 

Le personnage de gauche est un voyageur, un pèlerin, reconnaissable à sa gourde et son bâton. Qui est la femme qui tend les mains à droite et fixe la scène avec intensité ? 

 

 

Sur le panneau central de la tribune se distingue l'emblème des Franciscains : deux bras croisés autour de la croix ;  l'un revêtu de bure est celui de Saint François d'Assise, l'autre, nu, est celui du Christ. 

 

 

A ce propos Elizabeth Pardon dit :

 

"Si la facture de l'oeuvre ne nous est pas familière en Corse, le sujet en est encore plus inhabituel, de même que la façon de traiter les paysages et les personnages, qui évoquent un art plutôt nordique : en tous cas cette oeuvre du XVIIIème siècle ne manque pas d'élégance et  cet ultime témoignage de la présence ancienne de l'orgue devrait mériter tous les soins de Murato".

 

Voir notre page sur La Vierge au manteau, la Vierge de Miséricorde.

 

 

Les saints 

Les saints étant  bien sûr réputés charitables par nature, on peut voir à Serra-di-Ferro une statue de Saint Antoine de Padoue portant l’Enfant Jésus et qui donne un pain à un malheureux.

 

Serra di Ferro (Tassinca) St Antoine de Padoue
Serra di Ferro (Tassinca) St Antoine de Padoue
Serra di Ferro - détail
Serra di Ferro - détail

 

 

Saint François de Paule 

Pourquoi ce saint peu connu prend-il sa place ici ? Parce qu’il est représenté le plus souvent accompagné de sa devise Caritas ou Charitas (charité) inscrite dans un cartouche entouré de rayons.

 

Furiani - François de Paule (Charitas)
Furiani - François de Paule (Charitas)

 

Ce saint ermite italien (San Francesco di Paola) du XVè siècle (1416-1507) né à Paule en Calabre fonda l’ordre des  frères Minimes « les très petits », inspiré par Saint François d’Assise.

Il fonda plusieurs monastères dont la règle respectait  quatre vœux : chasteté, obéissance, pauvreté et humilité.

 

ZILIA - Chapelle St François de Paule (Poffiume)
ZILIA - Chapelle St François de Paule (Poffiume)
Zilia (Poffiume) - Chapelle St François de Paule
Zilia (Poffiume) - Chapelle St François de Paule
Zilia (Poffiume) - St François de Paule
Zilia (Poffiume) - St François de Paule

 

Sa légende lui prête de nombreux miracles.  Bien vite sa réputation est telle qu’il est appelé au chevet du roi Louis XI de France, mourant. Il vivra vingt-huit ans en France où il mourra en 1507, près de Tours.

Dans un épisode étonnant, le futur saint traverse le détroit de Messine sur son manteau déployé, alors qu’on lui avait refusé le passage en bateau à lui et à ses compagnons impécunieux.

Nous l’avons rencontré dans plusieurs églises et chapelles de Corse.

Il est figuré  en ermite barbu vêtu de l’habit monastique avec un bâton en tau comme saint Antoine abbé.

Santa Reparata (Occiglioni) - Saint François de Paule
Santa Reparata (Occiglioni) - Saint François de Paule

 

On a pu identifier ce saint comme étant Saint François de Paule grâce au nom "charitas" mis à jour sous un repeint.

 

 

Ce tableau dans l'église Saint-Roch d'Occiglioni, est actuellement en restauration. (Merci à Mme Marcon pour ces renseignements)

 

Sorio ( Eglise St Philippe Neri - Vision de St François de Paule
Sorio ( Eglise St Philippe Neri - Vision de St François de Paule
Sorio
Sorio
Bonifacio - Eglise Saint-Dominique
Bonifacio - Eglise Saint-Dominique

 

Dans l’église San-Quilico de Poggio-de-Venaco, un beau tableau représente l’épisode de la traversée du détroit sicilien.

On aperçoit en fond un beau paysage de port en pleine activité, des tours, des navires et des marins  dans une scène très animée.

Au premier plan, le saint et un compagnon, paraissent marcher sur les flots.

POGGIO-DI-VENACO St François de Paule traversant le détroit de Messine
POGGIO-DI-VENACO St François de Paule traversant le détroit de Messine

 

Scène qui rappelle cette toile de Benedetto Luti. 

 

Benedetto LUTI 1666-1724 (Musée national Messine)
Benedetto LUTI 1666-1724 (Musée national Messine)
Calvi - Oratoire Saint-Antoine Abbé
Calvi - Oratoire Saint-Antoine Abbé

 

Le pélican mystique.

 

 

La charité jusqu’au sacrifice de soi est souvent incarnée par le pélican.

Cet oiseau nourrit ses petits en régurgitant les poissons qu’il a emmagasinés dans une poche extensible qu’il vide en pressant son bec contre sa poitrine.

Il est devenu pour les chrétiens, le symbole du sacrifice et précisément celui du Christ, qui donne sa vie pour sauver les hommes.

Comme le pélican appuie de son bec sur sa poitrine pour faire sortir les poissons, on a longtemps cru qu’il se perçait le flanc pour nourrir ses enfants.

Ce motif est assez souvent présent dans les décors peints des églises corses :

 

Antisanti (Cortenais) - St Pierre aux liens
Antisanti (Cortenais) - St Pierre aux liens
San Gavino di Tenda (Haut Nebbiu)
San Gavino di Tenda (Haut Nebbiu)

Patrimonio (Haut Nebbiu) - Peinture monumentale - Morazzani 1908
Patrimonio (Haut Nebbiu) - Peinture monumentale - Morazzani 1908
Santa Reparata di Balagna
Santa Reparata di Balagna
Omessa (Cortenais) - Eglise St André
Omessa (Cortenais) - Eglise St André

Carpineto (Castagniccia) - Peinture monumentale - Luigi Giordani 1832
Carpineto (Castagniccia) - Peinture monumentale - Luigi Giordani 1832
Chiatra (Costa Verde) - Peinture monumentale
Chiatra (Costa Verde) - Peinture monumentale
Cozzano (région d'Ajaccio)-Raymond Rifflard dit Rif (1896-1981)
Cozzano (région d'Ajaccio)-Raymond Rifflard dit Rif (1896-1981)
Saint-Florent - Eglise Sainte Anne
Saint-Florent - Eglise Sainte Anne

 

sur des autels ou le maître-autel ...

 

La Porta (Castagniccia) - Maitre autel
La Porta (Castagniccia) - Maitre autel
Chiatra (Costa Verde) - Maitre Autel
Chiatra (Costa Verde) - Maitre Autel
Farinole (Cap Corse) - Autel Vierge à l'Enfant
Farinole (Cap Corse) - Autel Vierge à l'Enfant

 

sur des objets du culte, chasubles, bannières ...

 

Carcheto Brustico (Brustico - Cortenais) - Détail chasuble
Carcheto Brustico (Brustico - Cortenais) - Détail chasuble


Feliceto - Chasubles

Pioggiola
Pioggiola
Pioggiola
Pioggiola

Coti-Chiavari
Coti-Chiavari
Pastricciola (région d'Ajaccio)
Pastricciola (région d'Ajaccio)

 

tabernacles ...

Sollacaro (région de Sartène) cl.mh
Sollacaro (région de Sartène) cl.mh
Rezza (Région Ajaccio) - Chasuble - Cliché MH
Rezza (Région Ajaccio) - Chasuble - Cliché MH
Rezza (Région Ajaccio) - Pavillon de ciboire - Cliché MH
Rezza (Région Ajaccio) - Pavillon de ciboire - Cliché MH
Grosseto Prugna (région d'Ajaccio)
Grosseto Prugna (région d'Ajaccio)
Pastricciola (région d'Ajaccio) cl.mh
Pastricciola (région d'Ajaccio) cl.mh
Santa-Maria-Sicchè- bannière
Santa-Maria-Sicchè- bannière

Ville di Paraso - Tabernacle
Ville di Paraso - Tabernacle
Costa (Balagne)-Eglise Saint-Sauveur-tabernacle du maitre-autel
Costa (Balagne)-Eglise Saint-Sauveur-tabernacle du maitre-autel
Ville-di-Paraso (Balagne)- tabernacle du maître-autel
Ville-di-Paraso (Balagne)- tabernacle du maître-autel
Cervione  (Castagniccia) - Tabernacle (cliché MH)
Cervione (Castagniccia) - Tabernacle (cliché MH)

Ville di Paraso (Balagne) - détail
Ville di Paraso (Balagne) - détail

 

Il apparaît aussi au sommet des croix d’autel.

 

Cagnano  (Cap Corse) - Cliché MH
Cagnano (Cap Corse) - Cliché MH
Scata (Castagniccia)
Scata (Castagniccia)

 

 

Quelques vers pour clore ce chapitre :

 

Le comportement édifiant du pélican a inspiré Alfred de Musset qui y voit le symbole de la condition du Poète.

 

Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,

Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,

Ses petits affamés courent sur le rivage

En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.

 

Déjà, croyant saisir et partager leur proie,

Ils courent à leur père avec des cris de joie

 

En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.

 

Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,

 

De son aile pendante abritant sa couvée,

 

Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.

Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;

 

En vain il a des mers fouillé la profondeur ;

L’Océan était vide et la plage déserte ;

 

Pour toute nourriture il apporte son cœur. (…)

 

La Nuit de Mai

 

 

 

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