Saint Martin comme nous l'avons vu dans la page qui lui est consacrée (cf nos pages sur Saint Martin), illustre, par son acte charitable exemplaire, une des trois vertus théologales avec la Foi et l’Espérance : la Charité.
Saint Paul en parle dans sa première Epitre aux Corinthiens (I,13) comme la chose la plus importante pour le chrétien.
"Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit.
Quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien"...
Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité ; mais la plus grande c’est la charité.
"fides, spes, caritas, tria haec ; major autem horum est caritas"
Mais comment représenter une vertu pour l’édification des fidèles ?
Par des attributs ou des allégories.
Des couleurs et des attributs sont associés aux vertus : rouge comme l’amour pour la
Charité, blanc pour la Foi et vert comme l’Espérance ; le cœur enflammé pour la Charité, l’ancre pour l’Espérance et la croix pour la Foi.
La jeune femme
La Charité prend aussi conventionnellement les traits d’une femme accueillant ou allaitant des enfants, et/ou entourée d’un ou de plusieurs vieillards.
En Corse nous avons trouvé des toiles qui illustrent ce thème.
A Afa, bourg près d'Ajaccio, d’après l’œuvre de Bartolomeo Schedoni, peintre italien du XVIIe s.
A Zicavo, l'empereur Napoléon III donna à l'église une Charité de Lucile Doux (1854), copie d'un tableau d’Andrea del Sarto, peintre italien du XVIe s. et conservé au Louvre.
La Charité romaine
A la Renaissance les artistes représentent souvent la Charité sous les traits d’une jeune femme allaitant un vieillard, par contamination avec l’histoire de la Charité romaine.
De quoi s’agit-il ? L’historien romain Valère Maxime, dans ses Faits et dits mémorables (livre V, chap. 4 De la piété filiale, vers 32 ap. J.C. (repris par Pline l'Ancien dans ses Histoires naturelles (vers 77 ap. J.C.) raconte cet exemplum (en rhétorique c’est un court récit qui vise à servir d’exemple moral à suivre) :
La jeune Pero, modèle de piété filiale, nourrit secrètement son père Cimon condamné à mourir de faim en prison, en l’allaitant.
Quand l’affaire est découverte, les juges décident de libérer le prisonnier. «Les yeux s'arrêtent et demeurent immobiles de ravissement à la vue de cette action représentée dans un tableau » commente l’auteur…
Au XVIè s. on a pu donner à cette scène un caractère érotique voire licencieux.
Mais après L'oeuvre de Caravage qui utilise la scène dans un contexte chrétien, on s'en est servi pour en faire l'image de la Charité.
Le caractère transgressif et contre nature de la scène est dépassé par l'amour, le dévouement et la piété filiale qu'elle témoigne.
Les Sept Oeuvres de Miséricorde
Dans l'Evangile de Mathieu (25,31-46), Jésus fait une parabole à ses disciples dans laquelle il énumère les sept oeuvres de miséricorde corporelles (il y en a 7 autres spirituelles) que doit accomplir le chrétien au nom de l'amour de son prochain et pour gagner son paradis :
C'est Saint François d'Assise qui contribua à la propagation de la Miséricorde et grâce à qui se développèrent Maisons de charité, hôpitaux etc. pour accueillir les malheureux.
Voici ce que nous avons trouvé sur ce thème à Murato :
On y voit des dames de la bonne société accomplir des oeuvres de charité.
Une belle dame élégante apporte dans son tablier du pain pour les indigents et les estropiés sur fond de paysage bucolique.
Le personnage de gauche est un voyageur, un pèlerin, reconnaissable à sa gourde et son bâton. Qui est la femme qui tend les mains à droite et fixe la scène avec intensité ?
Sur le panneau central de la tribune se distingue l'emblème des Franciscains : deux bras croisés autour de la croix ; l'un revêtu de bure est celui de Saint François d'Assise, l'autre, nu, est celui du Christ.
A ce propos Elizabeth Pardon dit :
"Si la facture de l'oeuvre ne nous est pas familière en Corse, le sujet en est encore plus inhabituel, de même que la façon de traiter les paysages et les personnages, qui évoquent un art plutôt nordique : en tous cas cette oeuvre du XVIIIème siècle ne manque pas d'élégance et cet ultime témoignage de la présence ancienne de l'orgue devrait mériter tous les soins de Murato".
Voir notre page sur La Vierge au manteau, la Vierge de Miséricorde.
Les saints
Les saints étant bien sûr réputés charitables par nature, on peut voir à Serra-di-Ferro une statue de Saint Antoine de Padoue portant l’Enfant Jésus et qui donne un pain à un malheureux.
Saint François de Paule
Pourquoi ce saint peu connu prend-il sa place ici ? Parce qu’il est représenté le plus souvent accompagné de sa devise Caritas ou Charitas (charité) inscrite dans un cartouche entouré de rayons.
Ce saint ermite italien (San Francesco di Paola) du XVè siècle (1416-1507) né à Paule en Calabre fonda l’ordre des frères Minimes « les très petits », inspiré par Saint François d’Assise.
Il fonda plusieurs monastères dont la règle respectait quatre vœux : chasteté, obéissance, pauvreté et humilité.
Sa légende lui prête de nombreux miracles. Bien vite sa réputation est telle qu’il est appelé au chevet du roi Louis XI de France, mourant. Il vivra vingt-huit ans en France où il mourra en 1507, près de Tours.
Dans un épisode étonnant, le futur saint traverse le détroit de Messine sur son manteau déployé, alors qu’on lui avait refusé le passage en bateau à lui et à ses compagnons impécunieux.
Nous l’avons rencontré dans plusieurs églises et chapelles de Corse.
Il est figuré en ermite barbu vêtu de l’habit monastique avec un bâton en tau comme saint Antoine abbé.
On a pu identifier ce saint comme étant Saint François de Paule grâce au nom "charitas" mis à jour sous un repeint.
Ce tableau dans l'église Saint-Roch d'Occiglioni, est actuellement en restauration. (Merci à Mme Marcon pour ces renseignements)
Dans l’église San-Quilico de Poggio-de-Venaco, un beau tableau représente l’épisode de la traversée du détroit sicilien.
On aperçoit en fond un beau paysage de port en pleine activité, des tours, des navires et des marins dans une scène très animée.
Au premier plan, le saint et un compagnon, paraissent marcher sur les flots.
Scène qui rappelle cette toile de Benedetto Luti.
Le pélican mystique.
La charité jusqu’au sacrifice de soi est souvent incarnée par le pélican.
Cet oiseau nourrit ses petits en régurgitant les poissons qu’il a emmagasinés dans une poche extensible qu’il vide en pressant son bec contre sa poitrine.
Il est devenu pour les chrétiens, le symbole du sacrifice et précisément celui du Christ, qui donne sa vie pour sauver les hommes.
Comme le pélican appuie de son bec sur sa poitrine pour faire sortir les poissons, on a longtemps cru qu’il se perçait le flanc pour nourrir ses enfants.
Ce motif est assez souvent présent dans les décors peints des églises corses :
sur des autels ou le maître-autel ...
sur des objets du culte, chasubles, bannières ...
Feliceto - Chasubles
tabernacles ...
Il apparaît aussi au sommet des croix d’autel.
Quelques vers pour clore ce chapitre :
Le comportement édifiant du pélican a inspiré Alfred de Musset qui y voit le symbole de la condition du Poète.
Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L’Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son cœur. (…)
La Nuit de
Mai