II. ASCO - LE VILLAGE - DEUXIEME PARTIE
1. Asco et le Grande Guerre 1914/1918
2. Un camp d'internement des Juifs à Asco en 1943
3. Asco au travers des guides touristiques
4. Des peintres amoureux d'Asco
5. La mission ethnographique ARRIGHI 1948
1. ASCO ET LA GRANDE GUERRE 1914/1918
43 noms figurent sur le monument aux morts de la commune situé sur la place de l'église.
Comme de nombreux autres villages, Asco a payé un lourd tribut lors de ce conflit.
Le monument a été édifié, comme la plupart des monuments, dans les années 1920/25, pour honorer la mémoire des soldats tombés au combat.
Il a la forme d'une pyramide, modèle tiré d'un catalogue et semblable à grand nombre d'entre ceux que l'on retrouve en Corse et en Métropole.
Pour des communes dont les ressources étaient inexistantes, le choix de ce modèle s'explique avant tout par son prix raisonnable.
Cependant le monument d'Asco a une certaine originalité avec sa croix de guerre qui le surmonte reposant sur une tresse de lauriers ; un chapiteau avec, gravée, la poignée de main, symbole de la fraternité et de la résistance ; un coq sur une face, et l'emblème "Pro Deo et Patria" sur une autre face entourant deux drapeaux qui reposent sur un coeur, symbole chrétien ; des épées, la croix de la légion d'honneur.
Fort détérioré par le temps ce monument a été remplacé en 2017 par un mur du souvenir où figurent les plaques portant les noms des soldats morts au combat.
L'ordre des inscriptions a été respecté et l'on retrouve aussi les symboles figurant sur l'ancien monument ; le coq, la croix de guerre et la devise "Pro Deo et Patria".
A noter la belle fresque, représentant des soldats au combat, qui orne à présent ce monument.
LISTE DES SOLDATS PAR ORDRE ALPHABETIQUE
ANGELOFRANCHI Dominique | 1915 |
CARBONI Ange Baptiste | 1919 |
CARBONI Dominique | 1919 |
CARBONI François | 1916 |
CARBONI Jean Baptiste | 1914 |
CARBONI Joseph | 1914 |
CARBONI Mathieu | 1916 |
CLEMENTI François | 1914 |
DONCARLI Don Pierre | 1916 |
FRANCESCHETTI Auguste | 1918 |
FRANCESCHETTI François | 1914 |
FRANCESCHETTI François | 1914 |
FRANCESCHETTI François Caporal | 1915 |
FRANCESCHETTI Jean Maréchal des Logis | 1915 |
FRANCESCHETTI Martin | 1917 |
FRANCESCHETTI Martin Caporal Fourrier | 1917 |
FRANCESCHETTI Mathieu Sergent | 1915 |
FRANCESCHETTI Pierre | 1917 |
GRIMALDI Bastien | 1918 |
GRIMALDI Don Mathieu | 1915 |
GUERRINI André | 1915 |
GUERRINI François | 1916 |
GUERRINI Jean | 1918 |
GUERRINI Mathieu | 1914 |
GUERRINI Nicolas | 1917 |
GUERRINI Paul | 1914 |
GUERRINI Paul Soldat | 1918 |
GUERRINI Vincent | 1914 |
GUIDONI Achille | 1914 |
GUIDONI François Caporal | 1916 |
GUIDONI Jacques T. Adjudant Chef | 1915 |
GUIDONI Jean Baptiste | 1915 |
GUIDONI Joseph | 1919 |
GUIDONI Paul Baptiste | 1915 |
MERCURI Jean Soldat | 1914 |
MERCURI Joseph | 1914 |
MERCURI Simon Paul Sergent | 1915 |
PARSI Martin Lieutenant | 1917 |
PARSI Pasquin Caporal | 1916 |
SYVESTRI Dominique Marie | 1924 |
TROJANI Thomas | 1914 |
VESPERINI Jean-Baptiste | 1914 |
VESPERINI Nonce | 1917 |
Sur la guerre de 1914/1918 en Corse, deux sites richement documentés :
Orsu-Ghjuvanni Caporossi
cronacadiacorsica.pagesperso-orange.fr
Mathieu Nivaggioni
2. LE CAMP D'INTERNEMENT DES JUIFS A ASCO EN 1943
Une page de l'histoire d'Asco relate un fait longtemps ignoré.
C'est Isaac Ninio, membre de le communauté juive corse, qui a mis en lumière un épisode particulier de la Seconde Guerre mondiale en Corse.
En effet, à son initiative, autour du Maire d'Asco et de nombreux villageois, a été inaugurée, le 19 mai 2019, une plaque commémorative rappelant l'internement dans ce village de 86 Juifs. Episode passé longtemps sous silence.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la Corse comptait environ 600 Juifs. En 1941, sur ordre de la Préfecture, les autorités locales ont dû recenser les Juifs de l'Ile qui furent contraints d'afficher la mention "Juif" sur leur carte d'identité.
A son arrivée en Corse en 1943, le général italien Magli fait arrêter, principalement à Bastia, les Juifs âgés de 18 à 60 ans au motif qu'ils seraient dangereux pour la sécurité intérieure de l'Etat.
Comme il n'existe aucun camp d'internement sur l'île, il les transfère à Asco qui fera office de camp d'internement en Corse.
Trois membres de la famille d'Isaac Ninio figuraient parmi les 86 Juifs internés.
Comme l'indique la plaque commémorative, les habitants du village d'Asco ont tout fait pour rendre ce "séjour" le moins pénible possible. Comportement confirmé par les nombreux témoignages recueillis.
Lina Guerrini, âgée de 11 ans à l'époque, fille de Jean-Vitus Guerrini alors maire du village :
"Je faisais partie des très nombreux enfants qui allaient à l'école au groupe scolaire du village. A l'arrivée des Italiens et des Juifs, le bâtiment a été réquisitionné et nous avons tous été répartis dans d'autres maisons, chez des habitants, pour continuer à suivre la classe.
Je me souviens aussi des uniformes des officiers italiens. Les Juifs circulaient librement dans le village et allaient même se baigner à la rivière. Leurs familles arrivaient le jeudi pour les voir."
Madame Franceschetti avait raconté à son fils :
"ma cousine germaine, qui se baignait dans la rivière et ne savait pas nager, avait été sauvée de la noyade par un Juif, Monsieur Alleva, qui l'avait vue en difficulté.
Nous avions aussi un bar où les Juifs venaient souvent jouer aux cartes alors qu'ils n'en avaient pas le droit. On les prévenait, quand les Italiens approchaient, avant de les faire sortir par un escalier intérieur".
Jeannot Ferrandini (93 ans), garde lui un souvenir d'adolescent : "la première dent que l'on m'a arrachée, c'est un Juif interné au village qui s'en est chargé."
Les propos de l'ancien maire sont encore présents dans l'esprit des villageois.
Mme Esther Halewa de la communauté juive de Porto-Vecchio (décédée en 2021) raconte :
"Le maire d’Asco était très bien avec eux, il leur avait dit : je sais que les Allemands ont le projet de vous arrêter. Avant que cela se produise, je serai averti et on vous fera prendre le maquis. Ils ne vous arrêteront jamais".
Jerusalem post
Corse ile des justes
By PAULA HADDAD
Avril 2013
Il y eut même un mariage célébré fin juillet 1943 entre deux membres de la communauté juive.
Mariage en la mairie d'Asco signé, le 30 juillet 1943, par le maire Jean-Vitus Guerrini, mon père.
A cette occasion ma mère, Joséphine Marie Guerrini, offrit aux mariés une corbeille de beignets soufflés faits maison.
C'est cette reconnaissance envers les Ascolais que souligne la plaque apposée au fronton de l'ancien groupe scolaire.
Le document, ci-dessous, des services généraux, daté du 3 juillet 1963, atteste l'existence de ce camp d'Asco.
Il y est notamment spécifié que le régime du Camp d'Asco était celui de "l'incarcération avec privation totale de liberté".
Ce camp était géré par les Autorités étrangères d'occupation et la surveillance assurée par les Carabiniers italiens.
Ci-dessous, une délibération du Conseil municipal d'Asco datée du 1er avril 1948 qui témoigne de l'occupation des italiens.
Dans cette délibération il est précisé que :
" il est urgent de désigner un architecte agréé pour dresser les plans et devis de remise en état du groupe scolaire consécutivement à l'occupation de cet établissement par les troupes italiennes."
Sources :
Témoignages oraux
Archives - Mairie d'Asco
CRIF (Conseil représentatif des Institutions juives de France) 20 mai 2019
Corse-Matin 19 mai 2019
3. ASCO AU TRAVERS DES GUIDES TOURISTIQUES
Nous citerons les guides touristiques parus jusque dans les années 1970. La plupart d'entre eux ont consacré quelques belles pages au village d'Asco et à sa vallée.
Extraits du guide bleu de la Corse et de l'Ile d'Elbe - Hachette 1939
EXTRAITS DU LIVRE DE JEAN NOARO - Le voyageur de Corse - Hachette 1967
Nous terminerons ce chapitre par l'article que le poète Maistrale (pseudonyme de Dominique Antoine Versini 1872-1950) consacre à Asco dans son livre " A CORSICA PAESE PER PAESE en 1931.
L'auteur avait pour objectif de faire la description des 364 communes de la Corse. Hélas il n'en fera que 55.
Description selon lui nécessaire car, comme il le précise dans l'introduction :
"L'evenimenti i più impurtanti so trasmessi di bocca in bocca, senza mai unu scrittu eppo spariscenu"
... Noi avemu vulsutu marcà una data : 1931.
In 1931, in tempu di Maistrale, u vostru paese era cusi e cusi ..."
Traduction :
"Les événements les plus importants sont transmis de bouche à bouche, sans jamais un écrit et donc ils disparaissent.
Nous, nous avons voulu marquer une date : 1931. En 1931, à l'époque de Maistrale, votre village était ainsi .."
Traduction
Asco est un des villages les plus originaux de Corse ; son nom vient de "ascosu" (caché).
A 725 mètres d'altitude, ses habitants, au nombre de 703, vivent dans une conque baignée de soleil.
En face voici le mont Traunatu et le mont Biancu ; à gauche, la région de Caccia ; à droite, la forêt, le mont Cintu, derrière le mont Padru.
La ressource essentielle des villageois c'est le bétail ; il y a 12.300 hectares de terrains communaux, car les Ascolais (Ascais) jetaient des pierres aux agents forestiers ; la forêt communale a été respectée par le gouvernement et elle occupe 5000 hectares.
Comme il y a une grande surface et des pâtures, les villageois ont dix mille chèvres, cinq mille brebis, mille cinq cent têtes de bétail.
Les bergers sont tous riches ; Sippellu, avec cinq cent brebis, vaches et juments, est millionnaire.
La commune elle-même est riche ; la compagnie Brogné exploite la forêt avec un câble de 10 kilomètres. Pour s'installer ce dernier a versé 200.000 francs à la commune.
Notez bien messieurs les maires : Asco ne laisse couper que vingt pour cent des arbres de sa forêt vendue ; dans les autres communes, les entrepreneurs ne nous laissent même plus un pouce de terrain.
Mais il faut voir le maire : Jean (Vitus) Guerrini, lieutenant de réserve, instruit et hardi ; il protège tellement sa commune que le canton de Castifao en a fait son conseiller d'arrondissement ; journaliste de talent ; topez-la Monsieur le maire ; félicitations !
Les adjoints Dominique-Marie Franceschetti et Don Pierre Guerrini sont des hommes de bon sens ; les conseillers ne sont pas Ascolais pour rien.
A Asco les réalisations sont faites pour le village ; les ruelles sont propres, la fontaine est même crépie, le monument est beau ; le bureau de poste va ouvrir.
Bientôt on fera d'autres fontaines et une mairie ; il y a de l'argent en caisse et la bonne volonté ne manque pas. Quel bonheur !
Le villageois est tel un chêne ; les jeunes filles semblent des pommes colorées et rouges. La plus belle semble être Françoise Guerrini fille de Pierre ; on espère qu'elle nous invitera à son mariage.
Je voudrais entendre et voir une fois encore, les poètes improvisateurs : Minnellu (Dominique Guerrini) primé par l'Académie corse, la plus belle voix de paghjella de Corse. Prontu (Maestrali) toujours aussi vif et original : Renaud et Antoto', vraies sources de versets.
Mais laissez-moi m'incliner, chapeau bas, devant le prêtre Trojani, le grand savant, le patriarche renommé sur la terre entière, orateur distingué et chanteur tel un ange : il a tellement chanté Asco qu'il en a fait une perle universelle.
Maintenant donnons une poignée de main aux cordonniers Masgiolu et Capibiancu ; allons manger chez Berbone et Imbrusgione.
Saluons oncle Antunione le plus âgé ; Saiabicu le chef de gare, Micheli le soldat ; Tumasgiu de la "camionnette" ; Licunettu, Canone, et le délégué.
Demandons un jeune mouflon au grand chasseur Dominique Ferrandini qui, l'an passé, s'est "goinfré" 500 perdrix et vingt sangliers !
Admirons la mouche du pêcheur Musantu et félicitons les chanteurs Luiggi Mercuri, Nunzio Maria, Matteucciu.
Comme personnalités notons les trois frères Franceschetti ; l'administrateur Guidoni : les lieutenants Guidoni et Grimaldi.
Il y a dix instituteurs ; des facteurs, douaniers, policiers par douzaines.
Un compliment à Dominique Guerrini, patron de l'Hôtel du Cinto, félicité par tous ses touristes : franche hospitalité et cuisine de chrétien.
Comme légende on connaît celle du Sage d'Asco ; une fois, un futur marié, à cheval avec sa femme en croupe, voulait entrer dans l'église : mais cheval et cavaliers étaient plus grands que la porte.
Comment faire ? Comment faire ? Ils voulaient couper les têtes ; finalement ils allèrent consulter le sage d'Asco :
- Faites comme cela, dit le sage en baissant la tête.
Commentaires :
à propos de la forêt d'Asco : en effet cette forêt n'a jamais été domaniale mais appartenait à la commune.
L'entreprise Brogné dans les années 1920 avait installé un câble permettant de descendre les billes de bois de la forêt jusqu'à une gare construite en aval.
Le maire Jean (Vitus) Guerrini : c'était mon père.
Allusion à la future mairie : en 1937 a été édifié un imposant groupe scolaire regroupant écoles de filles et garçons, la mairie, des logements, une salle de fêtes, des préaux ...
Tumasgiu et sa camionnette : nous l'avons bien connu ; c'était lui qui était chargé de ravitailler l'épicerie du village tenue par sa soeur Nicolette.
Dominique Guerrini, aubergiste (Hôtel du Cinto) mais également guide de montagne : c'était mon grand père.
Minnellu : chantre, improvisateur. Nous lui consacrerons un long chapitre.
4. DES PEINTRES AMOUREUX D'ASCO
PIERRE BACH (1906-1971)
Pierre Bach, né le 13 octobre 1906 à Toul, décédé le 8 juin 1971, est un peintre paysagiste.
Passionné de voyages, il se rend en Corse dans les années 1930.
« La rencontre avec l’île est pour lui un choc énorme, une formidable révélation de couleurs et de lumières. Le paradis des peintres dont il avait rêvé souvent se trouve soudain à portée de ses mains, sous ses yeux. La Corse l’a littéralement ensorcelé, il lui vouera désormais un amour sans limite … (Alain Jambert, revue Kallisté, 2002)
Il fait l'acquisition d'une ancienne petite maison dans le village d'Erbalunga sur la côte est du Cap Corse. Il la restaure et en fait son atelier au pied d'une vieille tour génoise.
De là, il va parcourir l'ile d'Est en Ouest et du Nord au Sud à la recherche de paysages tourmentés sur la côte ou dans la belle montagne sauvage.
De 1930 à 1933, il présente des tableaux au Salon des Artistes indépendants.
Un article de Bastia-Journal du 3 juin 1932 rapporte longuement Le Salon des artistes corses qui a eu lieu à Bastia. L'auteur Antoine Trojani fait la part belle à Pierre Bach, qui a trouvé en la Corse le pays qui convient
"à son tempérament de coloriste fougueux, à son âme ardente, à sa palette lumineuse."
puis suivent d'autres propos flatteurs :
"M. Pierre Bach est un paysagiste doué tout de bon ... Il a bien appris son métier et il est sensible. Voilà les deux excellentes conditions pour devenir ce maître qu'on lui prédit qu'il sera ... (André Solmon dans Gringoire)
"Ce jeune peintre de vingt-cinq ans, avec toute la confiance de son jeune âge et l'assurance due au succès de ses précédentes expositions à Bastia et à Nancy, a voulu la consécration de Paris : il l'a eue." (L'Echo de la Corse)
"Ce qu'il donne à la peinture - l'émotion et l'amour - nul doute que bientôt, la peinture ne le lui rende, sous la forme d'un solide talent et d'un agréable succès."(La Semaine à Paris)
"Les deux paysages de la Corse exposés au Salon des Indépendants ne sont qu'un aperçu de la prodigieuse conception de ce peintre qui sera, nul n'en doute, un des premiers paysagistes de ce siècle."(Le Journal des Lorrains de Paris)
Et l'auteur de l'article, Antoine Trojani, de terminer en soulignant la prédilection du peintre pour la vallée d'Asco
"Le pittoresque grandiose de la vallée d'Asco, semble avoir particulièrement frappé l'oeil de Pierre Bach, puisque nous trouvons dans son envoi pas moins de six tableaux où les hauteurs du Cinto et du Padro donnent une impression extraordinaire de profondeur au gouffre que l'on devine et où semble gronder la fureur du torrent qui l'a creusé ..."
Exposition à Bastia d'artistes corses, juin 1933.
« En juin 1933 a eu lieu à Bastia une exposition d'artistes corses. On a pu y admirer des toiles, sculptures, aquarelles, dessins, signés entre autres artistes par Corbellini, Pekle, Bach … Cette exposition, a obtenu le plus vif succès ». (L’Annu Corsu 1933)
Le quotidien Bastia-Journal de décembre 1934 signale une exposition à Bastia réunissant quelque 150 œuvres dont des toiles de Pierre Bach « aux luminosités grandioses ».
"Paysages de Corse" à Paris, Nice-Matin 18 décembre 1947 (correspondant particulier)
"Pierre Bach vient de révéler au public parisien les ressources de son immense talent en exposant rue Scribe, ses Paysages de Corse, les plus beaux qui soient au monde ...
La peinture de Pierre Bach brûle ou irradie de lumière et en admirant ses toiles qui décèlent une sensibilité et une intelligence remarquables, il semble que nul mieux que lui, n'ait découvert et compris notre pays et ait rendu, à un tel degré de perfection son charme qui tient de la sorcellerie ...
Les maîtres de l'art pictural contemporain nous ont toutefois habitués à de classiques tableaux - souvent admirables - mais dont le manque d'originalité constituerait à lui seul un grief sérieux.
Le mérite de Pierre Bach est précisément d'avoir rompu avec la tradition. Il a fouillé les coins abrupts, escaladé les cimes quasi inaccessibles, pour rendre en pleine pâte, à ces sites impollués, leur beauté farouche et leur charme saisissant ..."
Pierre Bach, peintre lorrain de la Corse, Félix Quilici 1949
"Nul ne peint comme lui les belles montagnes corses aux teintes si particulières. Et avec quelle générosité il nous restitue dans ses oeuvres cette lumière qu'il est venu chercher chez nous ..."
Le contact direct avec la nature qui est pour lui un besoin physique, explique l'amour de Bach pour un pays comme la Corse. Etres et choses y participent étroitement du paysage. Il est un de ceux qui ont le mieux compris cette harmonie, le mieux senti et rendu l'"isolement" - au sens étymologique du mot - de notre pays. A fréquenter d'un bout de l'année à l'autre nos paysans, à vivre avec nos bergers, il est véritablement "devenu" Corse ... "
Pierre Bach meurt en Corse en 1971. Une plaque est apposée au centre du village d’Erbalunga où il est enterré.
Au-delà de cette version officielle, voici une approche plus personnelle de ce peintre que nous avons eu la chance de connaître.
Dès son arrivée en Corse dans les années 1930, Bach découvre Asco et sa vallée.
C’est ce village de montagne qui le marque à jamais comme le souligne le journaliste "Sartinus" de Nice-Matin dans un article de février 1957 au titre révélateur "Pierre Bach, le peintre qui croyait traverser la Corse et fut gardé par elle"
Interview :
- Votre premier contact avec l'Ile ?
- Asco ! un pays du bout du monde ! Mais quel caractère ! Une vraie révélation pour un peintre ! A partir de ce moment, j’ai compris que la Corse ferait de moi un prisonnier pour toujours !
Il loge souvent à l’Hôtel des Voyageurs tenu par Dominique Guerrini, mon grand-père.
C’est de cette première rencontre que naîtra cette amitié avec la famille Guerrini.
En ce qui me concerne, j’ai connu Pierre Bach dans les années 1960. Il séjournait souvent à l’Hôtel du Cinto, construit par mon père en 1954.
C’était en quelque sorte sa deuxième maison et il partageait souvent, lors de ses séjours, les repas familiaux.
C’était un homme jovial, très disert et blagueur. Très à l’aise, il tutoyait tout le monde, vieux et jeunes.
Toujours bien habillé, pantalon de velours tenu par de larges bretelles, chemise en flanelle à grands carreaux, avec souvent une cravate lavallière (1) : un artiste !
Autres particularités : Pierre Bach était un grand amateur de pêche à la truite et maniait la langue corse avec une certaine aisance.
Il illustrera avec fantaisie les murs de ce qui fut le premier bar de l’hôtel du Cinto, à son ouverture en 1954.
1. "Trois morceaux de toile, quelques palettes et une cravate lavallière, pour me donner l'illusion que le Très Haut m'avait déjà marqué pour la gloire" avait-il répondu avec humour au journaliste de Nice-Matin en 1957.
Nombre de ses tableaux seront exposés dans la salle de restaurant de l’hôtel et proposés à la vente.
Lors de ses sorties en quête d’un nouvel endroit où poser sa palette, il emmenait quelquefois un membre de ma famille.
Autre preuve de l’amitié portée à la famille Guerrini : Pierre Bach avait promis d’offrir un tableau en cadeau à chaque enfant Guerrini qui se marierait. Nous étions quand même 7 et chacun eut droit à son tableau dédicacé.
En 1958 il offrit à mon père Jean-Vitus Guerrini, maire du village, un magnifique tableau, de grand format, du pont génois d’Asco assorti d’une belle dédicace.
Pierre Bach fut un peintre très actif. Comme nous l’avons vu un de ses thèmes préférés était le village d’Asco et sa vallée. Voici quelques-unes de ses oeuvres "ascolaises" issues de collections particulières.
AUTRES PEINTRES
JEAN-JEROME LEVIE
Peintre corse (1809-1886). Ses nombreuses aquarelles témoignent de son goût du détail, de sa connaissance des règles du dessin et de sa bonne maîtrise de sa technique picturale.
Il aime reproduire des points de vue originaux, découverts hors des sentiers battus.
Un bon nombre de ses paysages sont animés de personnages : pêcheurs, paysans, promeneurs ...
(Michel-Edouard Nigaglioni : Encyclopédie chronologique illustrée des peintres, dessinateurs et graveurs, actifs en Corse des origines à la fin du XIXe siècle , éditions Alain Piazzola, 2012.
LEON CHARLES CANNICCIONI
Léon Charles Canniccioni né à Ajaccio en 1879 mort à Courbevoie en 1957 est originaire de Moltifao.
Il suit les cours de l’Ecole des Arts Décoratifs, puis est reçu à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts ; il remporte de nombreux succès.
Fortement attaché à sa terre natale, il se rend régulièrement en Corse à Ajaccio et dans son village de Moltifao dont les habitants et les paysages l’ont fortement inspiré dans son œuvre.
Il excelle dans toutes les techniques, mais c’est avec le fusain qu’il illustrera en 1953 La Corse types et coutumes de Pierre Dominique.
Léon Charles Canniccioni est bien représenté dans les musées avec une large place de ses œuvres représentant la Corse, ses habitants ses modes de vie ou tradition.
"C'est à la Corse que Canniccioni demande son inspiration ; c'est en elle qu'il puise sans cesse les sujets de ses oeuvres. Les meilleures d'entre elles, celles où se révèle le mieux la fougueuse vigueur de son tempérament et l'ardeur mystique de son culte pour la beauté, ce sont ses oeuvres corses ..."
Paul Fontana in L'Annu Corsu 1925, p.170
Une exposition lui a été consacrée en 2006/2007 au Lazaret Ollandini à Ajaccio.
(Pierre Claude Giansily, Histoire de la peinture en Corse au XIXè et XXè siècles, Editions Colonna)
Concernant Asco deux dessins tirés du livre de Pierre Dominique, La Corse Types et coutumes, dessins originaux de Léon Canniccioni, Paris 1935.
ANNE MARI-ROUSTAN
Bastia, Anne Mari-Roustan, une passion pour la Corse mise superbement sur toiles
L’Arsenal de la Citadelle de Bastia abrite depuis vendredi soir une magnifique exposition de peintures, les toiles d’Annie Mari-Roustan.
A l’occasion du centenaire de la naissance d’Annie Mari-Roustan (21 février 1920-18 janvier 2011), la ville de Bastia nous convie à suivre les traces de cette femme passionnée et passionnante.
Témoignage de Jean-Louis Mari son fils.
« Dans les années 50, ma mère et moi partions camper dans différentes régions de l’île, à la recherche des beaux paysages. Je portais la tente et ma mère son chevalet, sa boite à peinture et ses toiles.
Quand on trouvait un bel endroit, ma mère s’asseyait et peignait.».
Les tableaux d’Anne Mari-Roustan, peinture à l’huile sur toile, représentent le plus souvent des paysages : paysages
de mer, de montagnes, de rivières, de villages.
«Dans ses peintures, ma mère y mettait tout son amour, sa passion pour la Corse. Elle avait une sorte de boulimie des paysages corses, souligne J.-L. Mari
(Philippe Jammes, Corse Net infos, 22 Février 2020)
L’Arsenal nous permet de découvrir les œuvres de cette artiste maintes fois récompensée par la Société Académique Art, Sciences et Lettres de Paris.
Comme le peintre Pierre Bach, Anne Mari-Roustan s’est elle aussi intéressée au village d’Asco et à sa vallée.
« le petit village d’Asco, ses maisons basses accrochées aux dures pentes de la Corse, ses pins penchés dans le sens du Libeccio, personne encore ne les avait fait vivre avec tant de relief, de lumière, et d’amour ».
Dans sa fin de carrière Anne Mari-Roustan peint des fleurs. Elle expose très souvent à Ajaccio ou Bastia.
Elle décède le 8 janvier 2011.
5. LA MISSION ARRIGHI 1948
La revue Le mois d'ethnographie française de novembre 1948 détaille la mission confiée à une équipe conduite par le professeur Arrighi dont le but est de :
« recueillir dans des régions particulièrement intéressantes de notre île tous documents artistiques, musicaux et tous objets représentant les divers domaines de l’activité humaine avant la diffusion du machinisme, dresser l’inventaire de tous les monuments archéologiques et artistiques existant dans les régions visitées ; fixer par des enregistrements sur disques les chants corses traditionnels, et, par une étude linguistique, l’état actuel du parler local ; en somme essayer de sauver les vestiges encore existants de notre passé et fournir à la science et à la musicologie des éléments authentiques d’étude.
Les membres de la mission visitent actuellement le canton de Castifao et mènent plus particulièrement leur enquête dans le pittoresque village d’Asco.
Ils y ont reçu un accueil empressé de la population, à laquelle Monsieur le Maire Jean-Vitus Guerrini a souligné toute l’importance des recherches entreprises.
De nombreux et intéressants enregistrements sonores ont été effectués. Des relevés archéologiques ont été établis, les oeuvres d’art ont été inventoriées, les archives ont été dépouillées, des films documentaires tournés, des documents linguistiques et sociologiques rassemblés.
En outre, de nombreux et précieux objets anciens, généreusement offerts par les habitants, ont été recueillis. »
Des documents cités ci-dessus nous n'avons pu, à ce jour que recueillir la liste des enregistrements sonores auprès de la phonothèque de Corté.
Pour les films tournés à cette époque aucune trace pour l'instant !
Voici la liste des enregistrements :