MISE A JOUR SEPTEMBRE 2021 - OCTOBRE 2023
La légende
L'histoire se passe en Arabie, à Cyr, au Nord de la Syrie et en Cilicie, province romaine actuellement en Turquie ; nous sommes au Ve s. sous l'ère de Dioclétien (244-313), le persécuteur des premiers chrétiens.
Côme et Damien (ou Cosimo et Damiano) dont la mère, Théodota était chrétienne, sont deux médecins nés à Egée (Cilicie), qui prodiguent leurs soins gratuitement aussi bien aux hommes qu'aux animaux. On les appelle anargyres, "sans argent", comme Saint Pantaléon et saint Luc. Propager leur foi est leur récompense.
On ne sait rien de leur vie, tout relève de la légende. Leurs guérisons et leur prosélytisme finissent par attirer l'attention du proconsul Lysias qui - scénario connu - devant leur refus d'abjurer leur foi, les fait arrêter et supplicier.
Martyre type, exemplaire : les bourreaux leur font subir toute la panoplie des sévices (voir La Légende dorée de Jacques de Voragine).
Ils sont enchaînés, fustigés à coups de nerfs de boeuf, jetés dans la mer mais sauvés par un ange, mis sur le bûcher avec leurs trois frères, lapidés, percés de flèches ... mais tout se retourne contre les bourreaux. Ils seront finalement décapités.
Leur légende a sans doute servi à l'Eglise pour lutter contre les pratiques magiques des guérisseurs païens.
Pourtant les guérisons de Côme et Damien ne manquent pas : ils auraient même sauvé le chameau qui leur servait de monture !
Et après leur décapitation, au moment de leur sépulture, on vit apparaître un chameau qui d'une voix humaine "commanda que les saints fussent ensevelis au même endroit" (La Légende dorée).
Ils sont réputés pour avoir accompli des miracles après leur mort : en voici quelques-uns : un serpent s'était introduit dans la bouche d'un paysan endormi et lui ravageait les entrailles. A bout de souffrances, l'homme se réfugia dans l'église des saints et le serpent ressortit par où il était venu.
Une femme trompée par le diable fut sauvée par l'apparition miraculeuse des deux saints dont elle avait réclamé la protection.
On raconte même qu'ils apparaissaient en songe aux malades, leur donnaient une ordonnance et après exécution, ces derniers étaient guéris.
Le plus notable de leurs faits est le miracle posthume de la jambe noire.
Pour sauver la jambe gangrenée du sacristain de l'église Saints-Côme-et-Damien de Rome, les deux médecins lui étant apparus en rêve, ceux-ci coupèrent la jambe d'un Ethiopien récemment enterré et la greffèrent sur le malade. Une première médicale.
Opération réussie ! Comme dit Louis Réau avec humour, "sans autre ennui que d'avoir une jambe noire et une jambe blanche" ! lnutile de dire que cet épisode a été largement illustré.
Après leur mort, leurs corps enterrés à Cyr furent transférés à Constantinople par l'empereur Julien (527-565).
Leur culte s'est rapidement développé en Orient d'abord puis sous Justinien à Rome : une basilique à Cyr dès le Ve s., une église à Constantinople (434-447) et une à Rome sous le pape Symmaque (498-514).
Des sanctuaires ont été édifiés, remplaçant les temples d'Esculape, et les deux jumeaux devinrent les patrons des chirurgiens et des pharmaciens.
Ils sont invoqués pour toutes sortes de maladies y compris la peste comme Saint Sébastien et Saint Roch (cf notre article Images de la peste).
Très populaire, leur culte s'est donc diffusé dans toute l'Europe et à l'époque des Croisades leurs reliques furent distribuées aux églises.
Les martyrs médecins "martyri medici" devinrent en Toscane les patrons de la grande famille des Médicis, qui avant de faire fortune dans la banque comptait des médecins et des apothicaires. Beaucoup d'hommes de la dynastie se prénommèrent Côme, comme le célèbre Côme I de Médicis, grand-père de Laurent le Magnifique.
Aujourd'hui encore, on peut voir l'amphithéâtre de l'ancienne Ecole de Médecine de Paris qui porte leur nom.
En Corse, parmi les nombreuses corporations qui se sont constituées à Bastia, celle des barbiers et chirurgiens fondée le 22 août 1714 se plaça sous la protection des deux saints.
Chaque année le 26 septembre, date probable de leur mort, les membres procédaient à l'élection des procurateurs et des syndics de leur corporation.
Une tradition originale : saint Damien protecteur des troupeaux était invoqué dans la région de Sartène en cas d'épizootie. Les bergers allaient chercher la clé de la chapelle Saint-Damien et la lançait dans le troupeau.
Elle était censée désigner les bêtes malades, qui étaient alors abattues, le reste du troupeau étant aspergé de la poussière du mur de l'église. (Almanach de la mémoire et des coutumes, Claire Tiévant et Lucie Desideri).
Le culte des deux médecins en Corse est très ancien ainsi qu'en témoignent les nombreux sanctuaires paléo-chrétiens de l'île, ruinés pour la plupart. Geneviève Moracchini-Mazel dans Corsica sacra (voir notre bibliographie) en dénombre une quinzaine au Moyen Age.
Aujourd'hui encore, plusieurs églises et chapelles de Corse sont placées sous leur protection, celles de San Damiano, Felce, Frasso (Castellu di Rustinu), Sorbo-Ocagnano, Farinole, Ambiegna...
La chapelle d'Ocagnano, datée du XIè par G. Moracchini-Mazel, a été
dévastée au 16è au cours des guerres de Sampiero Corso.
Reconstruite, elle a servi d'annexe à l'église de Sorbo jusqu'en 1750-51 date de la construction de la nouvelle église Saints Côme-et-Damien
Les moines franciscains mexicains qui occupent le couvent depuis plusieurs années s'en vont en 2021. (voir Corse Matin du 3 janvier 2021).
Ils seront remplacés par les soeurs Clarisses.
"La vie rythme à nouveau l'église et le couvent saints Côme et Damien. L'évêque de Corse a célébré la messe d'installation des soeurs ...
Les petites soeurs de sainte Claire, seules représentantes en Corse de la branche féminine des franciscains, ont quitté leur monastère situé à Bastia. Un endroit où leur ordre a été installé par leur fondatrice soeur Marie-Thérèse Tavera, une clarisse née à Sartène en 1815"
(Ange-François Istria, Corse-Matin du 17 septembre 2021)
Comment reconnait-on Côme et Damien ?
Toujours ensemble, vêtus de la longue robe et du haut bonnet des médecins, ils tiennent les instruments de leur profession : pot à onguent, lancette, mortier voire urinal (matula, pour mirer les urines).
Ils peuvent avoir des ciseaux car Côme est aussi le patron des barbiers profession proche de celle de chirurgien puisqu'ils pouvaient raser, saigner et accoucher.
San Damiano
Voici quelques représentations des deux saints dans les églises de Corse.
Une des statues du maître autel de l'église de San Damiano en Castagniccia reprend le thème de la greffe de la jambe ; à côté du saint, un angelot tient une jambe coupée. Si on ne connaît pas l'histoire, on peut se poser des questions.
Toujours dans l'église de San Damiano, on remarque le tableau ci-dessous moins pour ses qualités picturales que pour la profusion des détails et des références.
Il figure les deux saints ligotés par des soldats et présentés au proconsul Lysias qui trône à droite et va prononcer la sentence.
La scène fait penser à l'arrestation de Jésus dans les Stations 1 des chemins de croix. Les accusés sont vêtus comme au XVIIè s. d'un manteau muni de petits boutons et d'un grand col à rabat blanc, de chausses bouffantes.
Leur tête au regard droit et aux cheveux blonds contraste avec l'armée des sbires et soldats qui les encerclent : pas moins de neuf, habillés en soldats romains, lourdement armés, avec une tonalité barbare rendue par exemple par la culotte de l'un d'eux imprimé panthère dirait-on, et par leurs visages vigoureusement peints en rouge !
Malgré la brutalité physique de l'arrestation, les futurs saints restent droits (raides ?) et impavides. Ils esquissent un geste important : le doigt tendu vers le haut, ils invitent acteurs et spectateurs à regarder la scène qui figure au registre supérieur de la toile. En bas le soldat accroupi qui s'appuie sur son bouclier semble les écouter.
Il s'agit du couronnement de la Vierge, à genoux sur une nuée soutenue par des angelots, en présence de la Trinité.
Dieu le père est à droite et tient l'orbe ; Jésus à gauche tient le Livre. Tous deux couronnés, barbus, avec de longs manteaux. La colombe du Saint-Esprit domine la scène.
Certains soldats semblent réagir à cette invite : à gauche ils se parlent et roulent des yeux effrayés (?).
Notons aussi la tête expressive de celui qui apparaît derrière les épaules des deux médecins.
En même temps l'un des deux saints indique de sa main droite le coin droit de la toile où l'on distingue les Ames du Purgatoire (ou les damnés dans les flammes), placées par un curieux effet de perspective, juste sous le trône du proconsul !
On imagine l'échange entre les accusés et Lysias, lui aussi le doigt tendu. Il faut choisir... le ciel ou l'enfer ?
Importance de la gestuelle dans les tableaux.
Ce tableau, véritable exercice de sainte lecture et leçon d'édification pour les fidèles est daté et signé dans le coin gauche : on distingue mal l'écrit car le tableau est troué : Mauritius CA ... pinxit (anno) domini 1682.
A Ambiegna en Corse du Sud, Côme et Damien figurent sur un tableau de la Vierge à l'Enfant en compagnie de Saint Benoît et Saint Albert.
Le couvent de Sartène leur est dédié avec, dans l'église attenante, un tableau des deux saints entourant Sainte Lucie.
Ils sont aussi présents dans un vitrail de l'église Santa-Maria toujours à Sartène ou encore sur la voûte de l'église de Felce dans une peinture murale de Gherardo Gherardi né en 1827.
Pour plus d'informations sur ce peintre, voir l'Encyclopédie de M.E. Nigaglioni.
Aujourd'hui encore Sartène fête les deux saints dont les statues partent en procession chaque 26 septembre.
"... Le père Bertoni a célébré la traditionnelle fête de San Cosimu è Damianu; au sein de l'église du couvent qui a retrouvé toute sa vivacité depuis l'arrivée des soeurs Clarisses.
A l'issue de la grand messe une procession est allée jusqu'au belvédère pour un moment de prière et de recueillement."
(Cathy Terrazzoni, Corse-matin 27 septembre 2021)
Photos Corse-matin du 27 septembre 2021
Dans le hameau de Silgaggia (commune de Brando, Cap Corse), un tableau figure les deux médecins entourant la Vierge.
Michel-Edouard Nigaglioni attire notre attention sur leur costumes : l'un à gauche est vêtu comme à l'antique, l'autre comme au XVIIIè siècle.
Ce tableau placé dans l'église Sainte-Lucie provient du hameau de Grotta naguère abandonné à cause d'une invasion ... de fourmis !
A Farinole, l'église Sts-Côme-et-Damien possède aussi un tableau : la Vierge, avec l'Enfant, remet le scapulaire à Côme qui tient des instruments dont une paire de ciseaux et montre au spectateur la scène du registre supérieur.
Quant à Damien il présente à la Vierge et à l'Enfant ce qui ressemble à une palette à casiers colorés, leur boîte à onguents. Ils sont représentés comme des saints traditionnels (cheveux longs, barbe, longs manteaux).
En arrière-plan, un paysage : village, mer, montagne, Farinole sans doute.
Cette toile au curieux cadre terminé en "mitre" est l'oeuvre de Saverio Farinole, peintre du XVIIIe s. fils de Carlo-Lorenzo, peintre originaire de ce village (M.-E. Nigaglioni, Encyclopédie des peintres, op.cit. p. 67 et 54).
Le Cap Corse encore : à Rogliano, l'église Sant'Agnello, anciennement Côme-et-Damien, renferme ce tableau au beau cadre Renaissance.
D'après un témoignage oral confié à Michel-Edouard Nigaglioni, ce tableau était sommé d'un fronton figurant le seigneur feudataire de Rogliano recevant ses statuts du Christ. Il pourrait s'agir de Simone da Mare ou du seigneur Negroni (fin du XVIe s.).
Entre eux, on distinguait la figure du donateur, malheureusement disparue après un nettoyage intempestif et maladroit.
Notre moisson s'achève avec le tableau de Giacomo Grandi dans l'église de la Sainte-Croix de Novella (Balagne).
On y voit l'Immaculée Conception qui, debout sur le croissant de lune écrase le serpent du Mal, encore bien vigoureux (cornu, gueule ouverte, oeil fulminant, queue sagittée).
La Vierge adopte la posture classique chez Grandi : tête penchée, simplement couverte d'un voile, yeux baissés, mains croisées sur la poitrine, telle les Vierges de Pietro da Cortona (peintre italien du XVIIe s.), abondamment copiées.
Elle est entourée de Côme (la toile est bien abîmée à cet endroit) et Damien ; tourné vers le spectateur, il tient d'une main une lancette tandis que de l'autre il montre la Vierge ; entre eux un angelot bouclé, bien planté sur ses jambes, présente sur une coupe ouvragée, les attributs de la profession.
A leurs pieds on distingue mal un phylactère (?) et un livre à tranche rouge. Là-haut dans les nuées, des anges tiennent des couronnes de roses destinées aux futurs martyrs et des palmes.
Disons enfin que des lieux portent le nom de San Damiano comme le port d'Algajola en Balagne, où une plaque témoigne de la présence d'un édifice ancien.
Les deux saints rejoignent la cohorte des frères fameux : les Dioscures Castor et Pollux auxquels on les a parfois assimilés ; Abel et Caïn ; Pierre et André les apôtres ; on connaît aussi Crépin et Crépinien (voir notre page), autres saints charitables.
La question de la charité des saints hommes - souvent moquée dans la littérature satirique - fait penser à la fable de La Fontaine "Le Rat qui s'était retiré du monde", merveille d'humour et d'ironie à l'encontre du clergé.
Le poète n'eut pas de problème avec les dévots : sous l'apparence d'un rat ermite qui refuse aide et assistance à ses congénères, il parle d'un moine ... oriental !
Qui désignai-je à votre avis
Par ce rat si peu secourable ?
Un moine ? Non, mais un dervis :
Je suppose qu'un moine est toujours charitable.
N'oublions pas que les médecins, Diafoirus ou Knock, ont été bien moqués aussi...
Bibliographie :
J. de Voragine, La Légende dorée.
Louis Réau Iconographie de l'art chrétien (op.cit)
M.-E. Nigaglioni, Encyclopédie des peintres op.cit
G. Moracchini-Mazel, Corsica sacra (op.cit.)
Ceccaldi Marc-Aurèle (Dr) Côme et Damien, médecins et martyrs, Marseille (1966)
Quelques belles rencontres :
D'autres saints médecins
On a cité plus haut Saint Pantaléon et Saint Luc.
Ajoutons l'ange Raphaël guide de Tobie qui lui indique comment rendre la vue à son père. Il est lui aussi représenté avec un pot à remèdes à la main. Voir notre page Tobie et l'ange Raphaël.